Destaque

UMA REFLEXÃO SOBRE O TEMPO QUE ESTAMOS A VIVER

  Por Galopim de Carvalho  Professor catedrático jubilado da Faculdade de Ciências da Universidade de Lisboa, Geologia e Sedimentologia. Foi...

sexta-feira, 3 de agosto de 2018

De milieu humain en anthropocène, sans retour ?



par Augustin BERQUE
berque@ehess.fr
Directeur d’études en retraite à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris)

Résumé – Alors que l’environnement est universel – le même pour tous –, le milieu est singulier, que ce soit à l’échelle de l’espèce ou à celle des organismes ; et, dans le cas de l’humain, que ce soit à l’échelle des personnes comme à celle  des cultures : un même donné environnemental pourra être perçu et utilisé de manières très différentes par des sociétés différentes, et dans un même environnement, deux personnes pourront vivre dans deux milieux très différents. Ouvrant des perspectives nouvelles sur la nature et sur l’existence humaine, la découverte de cette spécificité des milieux, dans la première moitié du XXe siècle, a semé le grain d’une révolution dans  les sciences de la nature comme dans les humanités.


I. « Milieu » est un mot troublant, qui a le double sens de centre et d’entourage, c’est-à-dire à la fois d’une chose (A) et de son contraire (non-A). Cette apparente contradiction est ancienne, et c’est dire qu’elle est significative. Déjà l’ancêtre de la notion de milieu, la chôra χώρα dont il est question dans le Timée de Platon, avait en effet, par rapport à l’être en devenir (la genesis γένεσις), le double sens d’empreinte (ekmageion κμαγεῖον) et de matrice (mêtêr μήτηρ, mère, ou tithênê τιθἠνη, nourrice)[1]. Le milieu comme empreinte-matrice, A, non-A, non-non-A, etc. (puisqu’il est, lui-même, réciproquement en devenir), telle est toujours l’idée centrale de la mésologie – l’étude des milieux – au sens où je l’entendrai ici dans le sillage de l’Umweltlehre (l’étude des milieux vivants) selon Uexküll et du fûdoron 風土論 (l’étude des milieux humains) selon Watsuji[2]. De ce point de vue, il y a concrescence – croître-ensemble – entre l’être et son milieu. Cela dépasse radicalement le dualisme moderne, et ouvre la perspective d’une science transmoderne.

II. Jakob von UEXKÜLL (1864-1944)[3] et WATSUJI Tetsurô 和辻哲郎 (1889-1960)[4] ont refondé la mésologie[5] en distinguant le milieu (Umwelt, fûdo 風土) de l’environnement (Umgebung, shizen kankyô 自然環境). Alors que l’environnement, sous le regard de nulle part de la science moderne – l’écologie en l’occurrence –, est un donné objectif universel, le milieu est toujours singulier, car il est fonction de l’être concerné. Autrement dit, cet être – individuel (un organisme, une personne…) ou collectif (une espèce, une société…) –, construit son milieu propre au cours de l’évolution et de l’histoire, à partir du donné brut de l’environnement, et il en est en retour construit – évolutionnairement et historiquement – par sa relation à ce milieu-là[6]. Il y a, en somme, à la fois cosmisation du corps et somatisation de l’environnement.

III. Il faut donc distinguer l’étude des milieux, i.e. la mésologie (Umweltlehre, fûdoron ou kansekaigaku 環世界学) de l’écologie (Ökologie, seitaigaku 生態学). L’écologie, science moderne, étudie l’environnement comme un objet, tandis que la mésologie, science transmoderne, étudie les milieux en tenant compte de la subjectité (l’être-sujet, ce dont la subjectivité est un attribut) des êtres concernés, lesquels interprètent le donné environnemental par les sens et par l’action (cela concerne tout le vivant), par la pensée (cela concerne les animaux supérieurs) et par la parole (cela concerne seulement l’être humain, compte tenu de la double articulation de toute langue humaine)[7]. En ce sens, la mésologie est une phénoménologie herméneutique : elle recherche le sens qu’a la réalité – ce qu’est la réalité – pour tel ou tel être. « Sens », ici, doit être entendu triplement comme, à la fois, une direction dans l’espace-temps (ce qui relève de la physique : la dimension de la planète), une sensation charnelle (ce qui relève de la biologie : la dimension de la biosphère) et une signification verbale (ce qui relève des sciences humaines : la dimension de l’écoumène, ensemble des milieux humains, i.e. la relation de l’humanité à la Terre)[8].

IV. Une science moderne se fonde sur la binarité : par le dualisme (la scission sujet-objet) d’une part, par le couple logique sujet-prédicat (S-P) d’autre part. NB : « sujet », dans le premier cas, désigne l’observateur ; et dans le deuxième cas ce dont il s’agit, le prédicat étant ce que l’on en dit. Cette double binarité se fonde elle-même sur le principe logique du tiers exclu (en anglais : the law of excluded middle) : on peut avoir ou bien affirmation (A) ou bien négation (non-A), mais pas binégation (ni A ni non-A), ni biaffirmation (à la fois A et non-A). Déjà Platon excluait la chôra du sain raisonnement, car cette empreinte-matrice est d’un « troisième et autre genre » (triton allo genos τρίτον ἄλλο γένος). D’où l’opposition moderne entre le subjectif et l’objectif, la nature et la culture, le hasard et la nécessité, etc. Il va sans dire que ce binarisme s’illustre aujourd’hui dans le calcul binaire (0 et 1) des systèmes électroniques.

V. Une science transmoderne se fonde au contraire sur le principe du tiers inclus[9], c’est-à-dire sur le tétralemme : 1. Affirmation (A) ; 2. négation (non-A) ; 3. binégation (ni A ni non-A) ; 4. biaffirmation (à la fois A et non-A), et corrélativement sur la ternarité logique S-I-P (sujet-interprétation-prédicat). D’où la prise en compte des intermédiaires entre le  subjectif et l’objectif (le trajectif), la nature et la culture (le médial, ou mésologique), le hasard et la nécessité (la contingence), etc. Sans inclure le tiers, impossible de saisir la réalité concrescente des milieux vivants, et a fortiori celle des milieux humains, dont le symbole (où A est toujours aussi non-A) est, avec la technique (qui transforme matériellement  A en non-A), l’une des deux conditions spécifiques[10].

VI. Dans cette perspective, la réalité r n’est pas S (le sujet du logicien = l’objet du physicien), mais S-I-P, c’est-à-dire S en tant que P pour I (« I » étant l’être qui interprète S en tant que P). Pour simplifier en sous-entendant I, on écrira : r = S/P, ce qui se lit « la réalité, c’est S en tant que P ».

VII. Cet « en tant que » est ce que le dualisme moderne ne peut pas saisir, parce que cela signifie qu’un même S peut exister différemment selon l’être I concerné[11]. Il équivaut à ce qu’Uexküll appelait Ton (ton, tonalité), et dont il a expérimentalement prouvé la réalité. Ainsi, une même touffe d’herbe S pourra exister – ek-sister hors de la gangue de son en-soi – en tant qu’aliment pour la vache (Fresston : S/P), obstacle pour la fourmi (Hinderniston : S/P’), abri pour le scarabée (Schutzton : S/P’’), etc.  En soi, l’identité de S est une abstraction ; ce qui existe concrètement dans un milieu réel, dépassant le principe d’identité de S, c’est toujours la réalité empirique[12] et singulière S/P, S/P’, S/P’’, etc. 

VIII. Dépassant le principe d’identité (A est A), selon lequel le subjectif diffère ontologiquement de l’objectif, la réalité empirique est trajective[13] : elle relève de la trajection de S en tant que P.  

IX. Première implication : l’être subjectif (par exemple la vache) ne peut pas être dissocié de l’être objectif (par exemple la touffe d’herbe). Ce n’est que dans l’abstraction du dualisme que ces deux êtres peuvent être discrétisés respectivement en sujet et en objet ; concrètement, ils sont indissociablement trajectifs (d’autant plus que les végétaux, on le sait aujourd’hui, sont eux aussi doués d’une certaine subjectité). Cette indissociabilité entre l’être (la vache, etc.) et son milieu (l’herbe, etc.) est ce qu’Uexküll appelait « contre-assemblage » (Gegengefüge). Watsuji, quant aux milieux humains, en a tiré le concept ontologique de fûdosei 風土性, que j’ai traduit par « médiance », et qu’il a défini comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機)[14]. La médiance est parfaitement illustrée par l’interprétation que Leroi-Gourhan (qui n’avait pas lu Watsuji) a faite de l’émergence d’Homo sapiens dans un double processus d’extériorisation de certaines des fonctions du « corps animal » en un « corps social » composé de systèmes techniques et symboliques, et d’effet en retour de ce corps social sur le corps animal[15]. Plutôt que de corps social (techno-symbolique), la mésologie parlera de « corps médial » (éco-techno-symbolique), i. e. le milieu, et résumera ledit processus en trois aspects : anthropisation de l’environnement par la technique (ce qui en fait un milieu humain), humanisation de l’environnement par le symbole (ce qui en fait également un milieu humain), et hominisation par effet en retour de ce milieu humain sur le corps animal.

X. Deuxième implication : les êtres vivants étant mortels, l’interprète I se renouvelle de génération en génération (soit I’, I’’, I’’’ etc.), entraînant le renouvellement indéfini de P en P’, P’’, P’’’ etc. Le milieu (S/P) se renouvelle donc indéfiniment en (S/P)/P’, ((S/P)/P’)/P ‘’, (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’ et ainsi de suite – c’est ce qu’on appelle « chaîne trajective »[16] –, entraînant doublement, du fait de la médiance ou du contre-assemblage de l’être (I) et de son milieu (S/P), 1. la transformation de S (l’environnement), et réciproquement 2. la transformation de I (ici sous-entendu pour des raisons de simplicité graphique, mais toujours présent dans la ternarité S-I-P).

XI. Troisième implication : par les chaînes trajectives, la lemmique[17] (ou méso-logique) de la mésologie dépasse aussi la contradiction entre l’être (la substance) et le non-être (l’insubstance). Aristote aussi bien que Nishida ont considéré que le prédicat est insubstantiel[18]. Or dans la chaîne trajective (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’…, on voit que le rapport S/P se trouve indéfiniment placé en position de S’, S’’, S’’’ etc. par rapport à de nouveaux prédicats P’, P’’, P’’’ etc. Compte tenu que, dans l’histoire de la pensée européenne, il y a homologie entre le rapport sujet/prédicat en logique et le rapport substance/accident en métaphysique, cela signifie que, du même coup, P se trouve progressivement substantialisé. C’est ce que l’on appelle une hypostase. Or cette hypostase est justement ce qui engendre historiquement la réalité concrète et trajective (mi-substantielle mi-relative) des milieux vivants, y compris les milieux humains, i.e. l’écoumène. 

XII. La transformation de S, combinée à celle de I, n’est autre en effet que ce que l’on appelle l’évolution, ou, à une autre échelle de temps, l’histoire[19]. La mésologie, avec le principe de la chaîne trajective, dépasse ainsi le blocage conceptuel du néo-darwinisme, dont il est mathématiquement certain qu’il ne peut à lui seul expliquer l’évolution[20]. Elle dépasse également l’opposition moderne entre mythe et histoire, car les chaînes trajectives sont analogues à ce que Barthes appelait « chaînes mésologiques »[21] ; ce qui signifie que la réalité concrète (S/P) est toujours tant soit peu mythique, et réciproquement que le mythe (autrement dit P) engendre toujours des effets réels dans l’histoire. Dans l’enchaînement complexe de ses chaînes trajectives, la réalité commune – la médiance – des êtres et de leurs milieux est donc toujours mouvante. Autrement dit si, comme le posa Watsuji, le milieu donne chair à l’histoire, l’histoire donne sens au milieu dans la triple acception que l’on a vue plus haut (III).

XIII. Dépassant donc le darwinisme et son alternative mécaniste (soit le hasard de la mutation, soit la nécessité de la sélection) [22], l’interprétation trajective de l’évolution comme de l’histoire ne tombe pas pour autant dans le mysticisme du « dessein intelligent » (pour ne rien dire du créationnisme). Entre le hasard et la nécessité, c’est une lemmique – une philosophie rationnelle de la contingence – , qui peut s’illustrer par le fameux poème de Machado : 

                  Caminante, no hay camino                Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin

                   Todo pasa y todo queda,                           Tout passe et tout reste,
                   pero lo nuestro es pasar                            mais il nous revient de passer
                   pasar haciendo caminos                           passer en faisant des chemins
                   caminos sobre el mar (…)                         des chemins sur la mer (…)

                   Caminante, son tus huellas,                      Toi qui chemines, ce sont tes traces,
                   el camino y nada más ;                                                  le chemin et rien de plus ;
                   caminante, no hay camino,                toi qui chemines, il n’y a pas de chemin,
                   se hace camino al andar.                           le chemin se fait en marchant.

                   Al andar se hace camino                           En marchant le chemin se fait
                   y al volver la vista atrás                             et quand on se retourne pour voir
                   se ve la senda que nunca                           on voit le sentier que jamais
                   se ha de volver a pisar (…)[23]                    l’on n’aura plus à fouler (…)

XIV. La contingence, c’est le caractère de ce qui est contingent. « Contingent » signifiera ici : qui aurait pu se passer autrement, mais qui se passe comme ceci en fonction d’une certaine histoire et d’un certain milieu. C’est bien ainsi que chemine le cheminant de Machado : il choisit son chemin en fonction des circonstances et du chemin qu’il a déjà suivi. Ce n’est donc pas du hasard (n’importe quoi n’importe quand n’importe où), car le chemin déjà suivi l’entraîne dans une certaine direction, et ce n’est pas non plus de la nécessité (toujours et partout la même chose), car il choisit à chaque pas, en fonction des circonstances, de poursuivre le même chemin ou de l’infléchir. Ce qu’il ne fait pas, en revanche, c’est de rebrousser carrément chemin : le chemin déjà suivi, il ne le foulera plus jamais. Tel est ce que j’appelle « le principe de Machado ». Les biologistes, eux, parlent d’« effet cliquet » ou d’ « effet de crémaillère » : l’évolution va toujours de l’avant, les espèces vivantes et leurs équilibres écologiques ne reviennent jamais au point de départ ; et cela non point par hasard, mais parce que les vivants, à toute échelle, sont des êtres doués de subjectité, non pas des objets mécaniques.

XV. Si les êtres vivants sont doués de subjectité, c’est entre autres raisons parce qu’ils sont doués de mémoire, et que la mémoire est la forme primitive et toujours nécessaire de la conscience. Saint Augustin[24] n’employait-il pas memoria dans le sens où les médiévaux ont plutôt parlé de conscientia ? Or dans la trajection de la réalité, cette mémoire, ce ne sont pas seulement les traces laissées dans les organismes par ce qui se passe, mais également celles que ces mêmes événements laissent dans leur milieu. Tel est en effet le principe de la médiance ou du contre-assemblage. Voilà comment, dans l’écoumène, l’environnement est anthropisé par l’action humaine, tandis que les sociétés en gardent la mémoire aussi bien par le mythe (le symbole) que, de nos jours, par toutes sortes d’enregistrements (la technique). Ainsi va l’histoire. D’où la question que l’on m’a posée dans ce cycle de conférences : « les milieux humains : transformation irréversible ? » ; autrement dit : ce cheminement de l’histoire est-il irréversible ?

XVI.  Du point de vue de la mésologie, donc selon le principe de Machado, le réponse est claire : oui, le cheminement de l’histoire est irréversible. Les milieux humains en particulier, pas plus que les milieux vivants en général, ne reviennent jamais au point de départ. L’histoire comme l’évolution vont toujours de l’avant, toujours ailleurs et toujours engendrant de nouvelles réalités. Il n’y a que la mécanique – et encore… – pour revenir à son point de départ, dans l’itération du même comme font les moteurs à piston ; mais dès qu’il y a vie, donc interprétation, il y a trajection et chaînes trajectives, donc évolution et histoire.

XVII. La question posée, toutefois, implique l’irréparable, voire l’inéluctabilité de la catastrophe. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’anthropocène a-t-il donc dépassé des seuils au delà desquels s’enchaîneront des transformations qui risquent de rendre la Terre inhabitable, autrement dit d’entraîner la fin du monde pour nous autres humains ? Au point actuel, les plus mécanistes des sciences de la nature elles-mêmes n’ont pas de réponses certaines à ce sujet ; c’est dire qu’a fortiori, le casuisme trajectif de la mésologie en a encore moins.  Tout ce que nous pouvons faire en réalité, c’est de corriger les pratiques dont nous savons aujourd’hui pertinemment qu’elles sont en train de rendre la Terre inhabitable, ce dans un avenir plus ou moins lointain, mais que nul n’est en mesure de prévoir. Raison de plus pour agir vite, au lieu de forclore la question comme les climatosceptiques et leurs consorts.

XVIII. Que faire donc en pratique ? L’agenda est déjà rempli depuis longtemps, et ce en détail, par l’écologie politique.  Reste à y choisir des priorités. J’en verrai une par-dessus tout : en finir avec l’agriculture industrielle, qui assassine les sols, ravage la biosphère, décime la paysannerie et répand la malbouffe, sans parler du massacre des paysages. Comme insoutenabilité, impossible de faire pire ! Je terminerai donc par l’idée que, dépassant pour de bon la modernité (ce qui n’est pas revenir en arrière, mais outrepasser), il nous faut recouvrer notre médiance avec la terre (au sens pédologique) comme avec la Terre (au sens de la biosphère)[25], au lieu, comme nous y pousse encore l’abstraction moderne, de nous figurer que nous pourrons nous sauver par le cocktail à la fois élitiste et irresponsable de la géoingénierie et du transhumanisme[26]

Palaiseau, 9 avril 2018.

Cité des sciences et de l’industrie
Cycle de conférences du printemps 2018 :
Les vivants façonnent leur milieu… et vice versa

Conférence du mardi 10 avril 2018 

Révisé le 10/4/18

Géographe et orientaliste né en 1942 à Rabat, Augustin Berque est directeur d’études en retraite à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), où, de 1978 à 2017, il a enseigné la japonologie et la géographie culturelle, puis la mésologie. Membre de l’Académie européenne, il a été en 2009 le premier Occidental à recevoir le Grand Prix de Fukuoka pour les cultures d’Asie, et en 2017 le premier Français admis au Palais de l’environnement terrestre (Chikyû kankyô dendô 地球環境殿堂) de Kyôto, qui commémore le protocole de 1997 sur les émissions de gaz à effet de serre.




[1] Sur ce thème, v. Augustin BERQUE, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, et plus particulièrement « La chôra chez Platon », p. 13-27 dans Thierry PAQUOT et Chris YOUNÈS (dir.) Espace et lieu dans la pensée occidentale, Paris, La Découverte, 2012.
[2] Sur la mésologie en général, v. Augustin BERQUE, La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre-La Défense, Presses de l’université Paris Ouest, 2014 ; Là, sur les bords de l’Yvette. Dialogues mésologiques, Bastia, éditions Éoliennes, 2017 ; et Glossaire de mésologie, Bastia, éditions Éoliennes, 2018. Plus généralement, v. Marie AUGENDRE, Jean-Pierre LLORED, Yann NUSSAUME (dir.) La Mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ?, Paris, Hermann, 2018 ; ainsi que, pour suivre l’actualité de la recherche, le site créé par Yoann MOREAU, <http://mesologiques.fr>.
[3] Jakob von UEXKÜLL, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (Incursions dans les milieux animaux et humains), Hambourg, Rowohlt, 1934 ; trad. par Philippe Muller, Mondes animaux et mondes humains, Paris, Denoël, 1965 ; et par Charles Martin-Freville, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010. NB : cette seconde traduction, améliorée à divers égards, ne comporte pas la seconde partie de l’ouvrage, pourtant essentielle au propos d’Uexküll : Bedeutungslehre (Étude de la signification).
[4] WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu (Milieux. Étude de l’entrelien humain), Tokyo, Iwanami, 1935 ; trad. par Augustin Berque, Fûdo. Le milieu humain, Paris, CNRS, 2011.
[5] Qu’avait une première fois fondée le médecin Charles Robin, disciple d’Auguste Comte et créateur du terme « mésologie », qu’il introduisit lors de la première séance de la Société de biologie, le 7 juin 1848, mais cela dans un sens positiviste et dualiste qui diffère profondément de la mésologie telle qu’entendue ici. La conception que s’en faisait Robin se reflète dans la définition que la première édition du Petit Larousse (1906) donnait de ce terme : « MÉSOLOGIE (zo-lo-ji) n. f. Partie de la biologie qui traite des rapports des milieux et des organismes ». Dans cette définition, « milieu » est entendu au sens où l’on parle aujourd’hui d’environnement.
[6] Augustin BERQUE, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
[7] La double articulation a été introduite par André MARTINET, Éléments de linguistique générale, Paris, Colin, 1961. Dans le langage humain, un énoncé s’articule sur deux plans : 1. en unités pourvues de sens, dont les plus petites sont appelées monèmes ou morphèmes ; 2. en unités dépourvues de sens, dont les plus petites sont appelées phonèmes, et qui sont en nombre limité dans chaque langue. La combinaison des deux plans fait qu’à partir d’un petit nombre de phonèmes, on peut former des milliers de monèmes, lesquels, dans chaque langue, peuvent être agencés en une infinité de messages, re-présentant (rendant présent) n’importe quel fait indépendamment du temps et de l’espace. On ne confondra donc pas la linguistique dans la biosémiotique (où elle se fonde néanmoins), anticipée par la Bedeutungslehre d’Uexküll, mais dont le véritable fondateur est Jesper HOFFMEYER, Signs of meaning in the universe. Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1996 (1993 pour l’édition danoise).
[8] Sur la triplicité de sens de l’écoumène, v. Augustin BERQUE, Écoumène, op. cit. et Glossaire de la mésologie, op. cit. Au sens d’ensemble des milieux humains (ce qui comprend tout ce qui existe pour nous, au delà même de la Terre), « écoumène » (du grec ἡ οἰκουμένη, l’habitée) est employé au féminin, par distinction avec son acception traditionnelle en géographie, où il est employé au masculin et au sens de partie habitée de la Terre, comme telle opposé à l’érème (« désert » au sens classique, i.e. wilderness).
[9] Sur ce thème, v. le site créé par Claude PLOUVIET « Tiersinclus.fr. Le blog du tiers inclus et de la mésologie », lien www.tiersinclus.fr.
[10] Le symbole et la technique s’ébauchent dans le reste des milieux vivants, mais – à commencer par la double articulation du langage – ils connaissent un déploiement incommensurable dans les milieux humains (v. plus loin, IX).
[11] C’est ce à quoi reviennent les paradoxes de la mécanique quantique, d’où le principe posé par Werner HEISENBERG, La nature dans la physique contemporaine (Das Naturbild der heutigen Physik, 1955), Paris, Gallimard, 1962, p. 33-34 : « S’il est permis de parler de l’image de la nature selon les sciences exactes de notre temps, il faut entendre par là, plutôt que l’image de la nature, l’image de nos rapports avec la nature. (…) C’est avant tout le réseau des rapports entre l’homme et la nature qui est la visée de cette science. (…) La science, cessant d’être le spectateur de la nature, se reconnaît elle-même comme partie des actions réciproques entre la nature et l’homme. La méthode scientifique, qui choisit, explique, ordonne, admet les limites qui lui sont imposées par le fait que l’emploi de la méthode transforme son objet, et que, par conséquent, la méthode ne peut plus se séparer de son objet ». Ce que Heisenberg appelle ici « la méthode », ce n’est autre que l’interprète I dans la relation S-I-P . En l’occurrence, l’interprète I de la nature S est un dispositif expérimental purement matériel (celui qui saisira la particule S soit en tant qu’onde P soit en tant que corpuscule P’), mais il s’y rajoute le physicien I’, soit (S-I-P)/I’-P’, et ainsi de suite, en chaîne trajective (v. plus bas, X). 
[12] Ce qui, dans le fil du principe posé par Heisenberg, est appelé « réel voilé » par Bernard d’ESPAGNAT, Traité de physique et de philosophie, Paris, Fayard, 2002.
[13] J’ai introduit les notions de trajection, trajectivité etc. dans Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant  la nature, Paris, Gallimard, 1986, 1997 ; et plus généralement dans Médiance, de milieu en paysage, Paris, Belin/RECLUS, 1990, 2000. 
[14] « Moment structurel » (kôzô keiki構造契機, traduction de l’allemand Strukturmoment), est à comprendre comme le couplage dynamique de deux termes, soit ici la concrescence entre, d’une part, l’être individuel abstrait, et d’autre part son milieu socio-écologique. La médiance signifie que l’être concret, dans sa concrescence, compose indissociablement et indéfiniment les deux termes.
[15] André LEROI-GOURHAN, Le Geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964, 2 vol.
[16] J’ai introduit ce terme dans Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident (Paris, Le Félin, 2010) à propos de l’histoire qui a conduit d’un mythe (l’Âge d’or en Europe, la Grande Identité Datong 大同 en Chine) à l’urbain diffus contemporain, dont l’empreinte écologique en arrive à modifier l’homéostasie climatique de la planète.
[17] Sur ce thème, v. YAMAUCHI Tokuryû, Rogosu to renma, Tokyo, Iwanami, 1974 ; trad. par Augustin Berque, avec le concours de Romaric Jannel, Logos et lemme, Paris, CNRS, sous presse (v. notamment ma postface, « Sur la possibilité d’une logique des milieux »).
[18] Robert BLANCHÉ et Jacques DUBUCS, La Logique et son histoire, Paris, Armand Colin, 1996 (1970), p. 35 : « [Pour Aristote] un prédicat n’a pas proprement d’existence, il n’est pas un être, mais il présuppose des existants desquels il puisse être prédiqué et qui, dans une proposition, joueront le rôle de sujets, hupokeimena. […] Le sujet doit en effet y être entendu comme une substance ». Sur NISHIDA Kitarô (1870-1945) et ce que celui-ci a appelé « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) ou « logique du prédicat » (jutsugo no ronri 述語の論理), ou plus largement sur l’école de Kyôto et l’idéologie du « dépassement de la modernité » (kindai no chôkoku 近代の超克), v. Augustin BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2 vol., 2000, et plus particulièrement mes deux articles « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité ? », p. 41-52, et  « Du prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », p. 53-62 dans Livia MONNET (dir.) Approches critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2002.
[19] C’est le thèse que je soutiens dans Poétique de la Terre, op. cit.
[20] François JACOB, dans La logique du vivant. Une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard, 1970, p. 329-330, écrivait déjà : « Que l’évolution soit due exclusivement à une succession de micro-événements, à des mutations survenant chacune au hasard, le temps et l’arithmétique s’y opposent. Pour extraire d’une roulette, coup par coup, sous-unité par sous-unité, chacune des cent mille chaînes protéiques qui peuvent composer le corps d’un mammifère, il faut un temps qui excède, et de loin, la durée allouée au système solaire » ; ce que, une génération plus tard, Hervé ZWIRN a précisé comme suit : « Les molécules responsables de la presque totalité des fonctions biologiques, les enzymes, sont des protéines, c'est-à-dire des chaînes d'au moins une centaine d'acides aminés mis bout à bout. Les protéines naturelles utilisent une vingtaine d'acides aminés. Il y a au minimum 10130 possibilités de protéines différentes. Supposons que chaque atome de l'Univers observable (il y en a environ 1080) soit un ordinateur, et que chacun énumère mille milliards de combinaisons par seconde – ce qui dépasse les capacités actuelles des ordinateurs. Il faudrait mille vingt-et-une fois l'âge de l'Univers pour terminer la tâche d'énumération ! Or, seule une infime fraction de ces possibilités est compatible avec la vie telle que nous la connaissons. L'Univers est donc beaucoup trop jeune pour que ce processus se soit uniquement déroulé par un mécanisme d'essais aléatoires systématiques explorant la totalité des possibilités » (« Énumérer la vie », La Recherche, 365, juin 2003, p. 104.).
[21] Dans ses fameuses Mythologies (Paris, Seuil, 1957), Roland BARTHES a défini le mythe comme l’effet d’une « chaîne sémiologique » où le signe (signifiant/signifié) antérieur devient le signifiant d’un signifié postérieur ; soit, indéfiniment, comme dans les chaînes trajectives, signifiant / signifié → (signifiant / signifié) / signifié’ → ((signifiant / signifié) / signifié’) / signifié’’ → (((signifiant / signifié) / signifié’) / signifié’’) / signifié’’’ etc.. NB : Barthes pour sa part adoptait une autre figuration de la chaîne sémiologique, mais je veux ici faire ressortir que le principe est exactement le même que celui, onto-logique (à la fois logique et ontologique), des chaînes trajectives.
[22] Mécanicisme qu’illustra Jacques MONOD, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970, en allant jusqu’à inventer la chimère d’une « téléonomie » définie comme suit : « La notion de téléonomie implique l’idée d’une activité orientée, cohérente et constructive. Par ces critères, les protéines doivent être considérées comme les agents moléculaires essentiels des performances téléonomiques des êtres vivants » (p. 67), tout en écartant la moindre idée de subjectité du vivant : « L’organisme est une machine qui se construit elle-même. (…) Toutes ces performances téléonomiques des protéines reposent en dernière analyse sur leurs propriétés dites ‘stéréospécifiques’, c’est-à-dire leur capacité de ‘reconnaître’ d’autres molécules (y compris d’autres protéines) d’après leur forme, qui est déterminée par leur structure moléculaire » (p. 69). Il va sans dire qu’appliquée à l’évolution, une telle interprétation ne tient pas debout, pour les raisons mathématiques mentionnées plus haut (XII). Notons néanmoins que le mécanicisme néo-darwinien, avec la montée en puissance de l’épigénétique, est en train de suivre un chemin de Damas qui pourrait bien le mener un jour ou l’autre à reconnaître le vivant non plus comme une machine, mais comme un sujet capable d’interpréter casuellement les circonstances. Témoin ces lignes récentes d’un auteur qu’on ne peut taxer de mysticisme, Joël de ROSNAY, La Symphonie du vivant. Comment l’épigénétique va changer votre vie, Paris, LLL (Les Liens qui Libèrent), 2018, p. 17-18 : « Les différentes cellules de l’organisme contiennent au sein de leur noyau un même exemplaire d’ADN, renfermant la totalité de l’information génétique nécessaire à toutes les cellules de l’organisme. Pourtant chaque cellule (de foie, de rein ou de muscle) ne lit que les gènes (les pages du livre de cuisine) utiles à la production des protéines dont elle a besoin pour son propre fonctionnement ». On notera ce « ne lit que »,  lequel implique une interprétation qui relève non pas de la mécanique, mais de la subjectité, selon ce que j’appelle ici « principe de Machado ».
[23] Je copie ce poème célèbre d’Antonio MACHADO (1875-1939) sur Internet à « Caminante, no hay camino ». Traduction A.B.
[24] Par exemple dans les Confessions, X, 24 : manes in memoria mea [, Domine], et illic te invenio (tu demeures en ma conscience [, Seigneur], et c’est là que je te trouve). Conscientia existait pourtant déjà en latin classique…  
[25] J’esquisse quelques pistes en ce sens dans Recosmiser la Terre. Quelques leçons péruviennes, Paris, éditions B2, 2018.
[26] Sur ce cocktail éminemment moderne, v. Augustin BERQUE, « Anthropocene and transhumanism, or the ecumene as an anthroposcene », p. 1-10 dans SUGIHARA S., NAKASHIZUKA T. et SAIJO T. (dir.) Asia’s transformations to sustainability: past, present and future of the anthropocene, Kyoto, Research Institute on Humanity and Nature, 2017. L’idée que j’y soutiens est que, tout en changeant d’échelle, le couple cyborgiaque de la géoingénierie et du transhumanisme ne fait qu’illustrer le moment structurel de l’existence humaine (la médiance).   

Sem comentários:

Enviar um comentário