par Augustin BERQUE
berque@ehess.fr
Directeur d’études en retraite à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris)
Résumé – Alors que l’environnement est universel – le
même pour tous –, le milieu est singulier, que ce soit à l’échelle de
l’espèce ou à celle des organismes ; et, dans le cas de l’humain, que ce
soit à l’échelle des personnes comme à celle des cultures : un même donné environnemental
pourra être perçu et utilisé de manières très différentes par des sociétés
différentes, et dans un même environnement, deux personnes pourront vivre dans
deux milieux très différents. Ouvrant des perspectives nouvelles sur
la nature et sur l’existence humaine, la découverte de cette spécificité des
milieux, dans la première moitié du XXe siècle, a semé le grain
d’une révolution dans les sciences de la
nature comme dans les humanités.
I. « Milieu » est un mot
troublant, qui a le double sens de centre et d’entourage, c’est-à-dire à la
fois d’une chose (A) et de son contraire (non-A). Cette apparente contradiction
est ancienne, et c’est dire qu’elle est significative. Déjà l’ancêtre de la
notion de milieu, la chôra χώρα dont
il est question dans le Timée de Platon, avait en effet, par rapport à l’être
en devenir (la genesis γένεσις), le
double sens d’empreinte (ekmageion ἐκμαγεῖον) et
de matrice (mêtêr μήτηρ,
mère, ou tithênê τιθἠνη, nourrice)[1]. Le milieu comme empreinte-matrice, A, non-A,
non-non-A, etc. (puisqu’il est, lui-même, réciproquement en devenir), telle est
toujours l’idée centrale de la mésologie – l’étude des milieux – au sens où je
l’entendrai ici dans le sillage de l’Umweltlehre
(l’étude des milieux vivants) selon Uexküll et du fûdoron 風土論 (l’étude des milieux humains) selon Watsuji[2].
De ce point de vue, il y a concrescence –
croître-ensemble – entre l’être et son milieu. Cela dépasse radicalement le
dualisme moderne, et ouvre la perspective d’une science transmoderne.
II. Jakob von UEXKÜLL (1864-1944)[3]
et WATSUJI Tetsurô 和辻哲郎 (1889-1960)[4]
ont refondé la mésologie[5]
en distinguant le milieu (Umwelt, fûdo
風土)
de l’environnement (Umgebung, shizen
kankyô 自然環境). Alors que l’environnement, sous le
regard de nulle part de la science moderne – l’écologie en l’occurrence –, est
un donné objectif universel, le milieu est toujours singulier, car il est fonction
de l’être concerné. Autrement dit, cet être – individuel (un organisme, une
personne…) ou collectif (une espèce, une société…) –, construit son milieu
propre au cours de l’évolution et de l’histoire, à partir du donné brut de
l’environnement, et il en est en retour construit – évolutionnairement et
historiquement – par sa relation à ce milieu-là[6].
Il y a, en somme, à la fois cosmisation du corps et somatisation de
l’environnement.
III. Il faut donc distinguer l’étude
des milieux, i.e. la mésologie (Umweltlehre,
fûdoron ou kansekaigaku 環世界学) de l’écologie (Ökologie,
seitaigaku 生態学). L’écologie, science moderne, étudie
l’environnement comme un objet, tandis que la mésologie, science transmoderne,
étudie les milieux en tenant compte de la subjectité (l’être-sujet, ce dont la
subjectivité est un attribut) des êtres concernés, lesquels interprètent le
donné environnemental par les sens et par l’action (cela concerne tout le
vivant), par la pensée (cela concerne les animaux supérieurs) et par la parole
(cela concerne seulement l’être humain, compte tenu de la double articulation
de toute langue humaine)[7].
En ce sens, la mésologie est une phénoménologie herméneutique : elle recherche
le sens qu’a la réalité – ce qu’est la réalité – pour tel ou tel être.
« Sens », ici, doit être entendu triplement comme, à la fois, une
direction dans l’espace-temps (ce qui relève de la physique : la dimension
de la planète), une sensation charnelle (ce qui relève de la biologie : la
dimension de la biosphère) et une signification verbale (ce qui relève des
sciences humaines : la dimension de l’écoumène, ensemble des milieux
humains, i.e. la relation de l’humanité à la Terre)[8].
IV. Une science moderne se fonde
sur la binarité : par le dualisme (la scission sujet-objet) d’une part,
par le couple logique sujet-prédicat (S-P) d’autre part. NB :
« sujet », dans le premier cas, désigne l’observateur ; et dans
le deuxième cas ce dont il s’agit, le prédicat étant ce que l’on en dit. Cette double
binarité se fonde elle-même sur le principe logique du tiers exclu (en
anglais : the law of excluded middle) :
on peut avoir ou bien affirmation (A) ou bien négation (non-A), mais pas binégation
(ni A ni non-A), ni biaffirmation (à la fois A et non-A). Déjà Platon excluait
la chôra du sain raisonnement, car
cette empreinte-matrice est d’un « troisième et autre genre » (triton allo genos τρίτον ἄλλο γένος).
D’où l’opposition moderne entre le subjectif et l’objectif, la nature et la
culture, le hasard et la nécessité, etc. Il va sans dire que ce binarisme
s’illustre aujourd’hui dans le calcul binaire (0 et 1) des systèmes
électroniques.
V. Une science transmoderne se
fonde au contraire sur le principe du tiers inclus[9],
c’est-à-dire sur le tétralemme : 1. Affirmation (A) ; 2. négation
(non-A) ; 3. binégation (ni A ni non-A) ; 4. biaffirmation (à la fois
A et non-A), et corrélativement sur la ternarité logique S-I-P (sujet-interprétation-prédicat).
D’où la prise en compte des intermédiaires entre le subjectif et l’objectif (le trajectif), la nature
et la culture (le médial, ou mésologique), le hasard et la nécessité (la
contingence), etc. Sans inclure le tiers, impossible de saisir la réalité
concrescente des milieux vivants, et a
fortiori celle des milieux humains, dont le symbole (où A est toujours
aussi non-A) est, avec la technique (qui transforme matériellement A en non-A), l’une des deux conditions
spécifiques[10].
VI. Dans cette perspective, la
réalité r n’est pas S (le sujet du logicien = l’objet du physicien), mais
S-I-P, c’est-à-dire S en tant que P pour I (« I » étant l’être qui
interprète S en tant que P). Pour simplifier en sous-entendant I, on
écrira : r = S/P, ce qui se lit
« la réalité, c’est S en tant que P ».
VII. Cet « en tant que »
est ce que le dualisme moderne ne peut pas saisir, parce que cela signifie
qu’un même S peut exister différemment selon l’être I concerné[11].
Il équivaut à ce qu’Uexküll appelait Ton (ton,
tonalité), et dont il a expérimentalement prouvé la réalité. Ainsi, une même
touffe d’herbe S pourra exister – ek-sister
hors de la gangue de son en-soi – en tant qu’aliment pour la vache (Fresston : S/P), obstacle pour la
fourmi (Hinderniston : S/P’),
abri pour le scarabée (Schutzton :
S/P’’), etc. En soi, l’identité de S est
une abstraction ; ce qui existe concrètement dans un milieu réel, dépassant
le principe d’identité de S, c’est toujours la réalité empirique[12]
et singulière S/P, S/P’, S/P’’, etc.
VIII. Dépassant le principe
d’identité (A est A), selon lequel le subjectif diffère ontologiquement de
l’objectif, la réalité empirique est trajective[13] :
elle relève de la trajection de S en tant que P.
IX. Première implication :
l’être subjectif (par exemple la vache) ne peut pas être dissocié de l’être
objectif (par exemple la touffe d’herbe). Ce n’est que dans l’abstraction du
dualisme que ces deux êtres peuvent être discrétisés respectivement en sujet et
en objet ; concrètement, ils sont indissociablement trajectifs (d’autant
plus que les végétaux, on le sait aujourd’hui, sont eux aussi doués d’une
certaine subjectité). Cette indissociabilité entre l’être (la vache, etc.) et
son milieu (l’herbe, etc.) est ce qu’Uexküll appelait
« contre-assemblage » (Gegengefüge).
Watsuji, quant aux milieux humains, en a tiré le concept ontologique de fûdosei 風土性, que j’ai
traduit par « médiance », et qu’il a défini comme « le moment
structurel de l’existence humaine » (ningen
sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機)[14].
La médiance est parfaitement illustrée par l’interprétation que Leroi-Gourhan
(qui n’avait pas lu Watsuji) a faite de l’émergence d’Homo sapiens dans un double processus d’extériorisation de
certaines des fonctions du « corps animal » en un « corps
social » composé de systèmes techniques et symboliques, et d’effet en
retour de ce corps social sur le corps animal[15].
Plutôt que de corps social (techno-symbolique), la mésologie parlera de
« corps médial » (éco-techno-symbolique), i. e. le milieu, et
résumera ledit processus en trois aspects : anthropisation de l’environnement par la technique (ce qui en fait
un milieu humain), humanisation de
l’environnement par le symbole (ce qui en fait également un milieu humain), et hominisation par effet en retour de ce
milieu humain sur le corps animal.
X. Deuxième implication : les
êtres vivants étant mortels, l’interprète I se renouvelle de génération en
génération (soit I’, I’’, I’’’ etc.), entraînant le renouvellement indéfini de
P en P’, P’’, P’’’ etc. Le milieu (S/P) se renouvelle donc indéfiniment en
(S/P)/P’, ((S/P)/P’)/P ‘’, (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’ et ainsi de suite – c’est
ce qu’on appelle « chaîne trajective »[16]
–, entraînant doublement, du fait de la médiance ou du contre-assemblage de
l’être (I) et de son milieu (S/P), 1. la transformation de S (l’environnement), et
réciproquement 2. la transformation de I (ici sous-entendu pour des raisons de
simplicité graphique, mais toujours présent dans la ternarité S-I-P).
XI. Troisième implication : par
les chaînes trajectives, la lemmique[17]
(ou méso-logique) de la mésologie dépasse aussi la contradiction entre l’être (la
substance) et le non-être (l’insubstance). Aristote aussi bien que Nishida ont
considéré que le prédicat est insubstantiel[18].
Or dans la chaîne trajective (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’…, on voit que le rapport S/P
se trouve indéfiniment placé en position de S’, S’’, S’’’ etc. par rapport à de
nouveaux prédicats P’, P’’, P’’’ etc. Compte tenu que, dans l’histoire de la
pensée européenne, il y a homologie entre le rapport sujet/prédicat en logique
et le rapport substance/accident en métaphysique, cela signifie que, du même
coup, P se trouve progressivement substantialisé. C’est ce que l’on appelle une
hypostase. Or cette hypostase est justement ce qui engendre historiquement la
réalité concrète et trajective (mi-substantielle mi-relative) des milieux
vivants, y compris les milieux humains, i.e. l’écoumène.
XII. La transformation de S,
combinée à celle de I, n’est autre en effet que ce que l’on appelle l’évolution,
ou, à une autre échelle de temps, l’histoire[19].
La mésologie, avec le principe de la chaîne trajective, dépasse ainsi le
blocage conceptuel du néo-darwinisme, dont il est mathématiquement certain
qu’il ne peut à lui seul expliquer l’évolution[20].
Elle dépasse également l’opposition moderne entre mythe et histoire, car les
chaînes trajectives sont analogues à ce que Barthes appelait « chaînes
mésologiques »[21] ;
ce qui signifie que la réalité concrète (S/P) est toujours tant soit peu
mythique, et réciproquement que le mythe (autrement dit P) engendre toujours
des effets réels dans l’histoire. Dans l’enchaînement complexe de ses chaînes
trajectives, la réalité commune – la médiance – des êtres et de leurs milieux
est donc toujours mouvante. Autrement dit si, comme le posa Watsuji, le milieu
donne chair à l’histoire, l’histoire donne sens au milieu dans la triple acception
que l’on a vue plus haut (III).
XIII. Dépassant donc le darwinisme
et son alternative mécaniste (soit le hasard de la mutation, soit la nécessité
de la sélection) [22],
l’interprétation trajective de l’évolution comme de l’histoire ne tombe pas
pour autant dans le mysticisme du « dessein intelligent » (pour ne
rien dire du créationnisme). Entre le hasard et la nécessité, c’est une lemmique
– une philosophie rationnelle de la contingence – , qui peut s’illustrer par le
fameux poème de Machado :
Caminante,
no hay camino Toi qui chemines,
il n’y a pas de chemin
Todo pasa y todo queda, Tout passe et tout reste,
pero lo nuestro es pasar mais il nous revient de
passer
pasar haciendo caminos passer en faisant des chemins
caminos sobre el mar (…) des chemins sur la mer (…)
Caminante, son tus huellas, Toi qui chemines, ce sont tes traces,
el camino y nada más ; le chemin et rien
de plus ;
caminante, no hay camino, toi qui chemines, il n’y a pas de chemin,
se hace camino al andar. le chemin se fait en marchant.
Al andar se hace camino En marchant le chemin se fait
y al volver la vista atrás et quand on se retourne
pour voir
se ve la senda que nunca on voit le sentier que jamais
XIV. La contingence, c’est le
caractère de ce qui est contingent. « Contingent » signifiera
ici : qui aurait pu se passer autrement, mais qui se passe comme ceci en
fonction d’une certaine histoire et d’un certain milieu. C’est bien ainsi que
chemine le cheminant de Machado : il choisit son chemin en fonction des
circonstances et du chemin qu’il a déjà suivi. Ce n’est donc pas du hasard
(n’importe quoi n’importe quand n’importe où), car le chemin déjà suivi
l’entraîne dans une certaine direction, et ce n’est pas non plus de la
nécessité (toujours et partout la même chose), car il choisit à chaque pas, en
fonction des circonstances, de poursuivre le même chemin ou de l’infléchir. Ce
qu’il ne fait pas, en revanche, c’est de rebrousser carrément chemin : le
chemin déjà suivi, il ne le foulera plus jamais. Tel est ce que j’appelle
« le principe de Machado ». Les biologistes, eux, parlent
d’« effet cliquet » ou d’ « effet de crémaillère » :
l’évolution va toujours de l’avant, les espèces vivantes et leurs équilibres
écologiques ne reviennent jamais au point de départ ; et cela non point
par hasard, mais parce que les vivants, à toute échelle, sont des êtres doués
de subjectité, non pas des objets mécaniques.
XV. Si les êtres vivants sont doués
de subjectité, c’est entre autres raisons parce qu’ils sont doués de mémoire,
et que la mémoire est la forme primitive et toujours nécessaire de la
conscience. Saint Augustin[24]
n’employait-il pas memoria dans le
sens où les médiévaux ont plutôt parlé de conscientia ? Or dans la trajection de la réalité,
cette mémoire, ce ne sont pas seulement les traces laissées dans les organismes
par ce qui se passe, mais également celles que ces mêmes événements laissent dans
leur milieu. Tel est en effet le principe de la médiance ou du
contre-assemblage. Voilà comment, dans l’écoumène, l’environnement est
anthropisé par l’action humaine, tandis que les sociétés en gardent la mémoire
aussi bien par le mythe (le symbole) que, de nos jours, par toutes sortes
d’enregistrements (la technique). Ainsi va l’histoire. D’où la question que
l’on m’a posée dans ce cycle de conférences : « les milieux
humains : transformation irréversible ? » ; autrement dit :
ce cheminement de l’histoire est-il irréversible ?
XVI. Du point de vue de la mésologie, donc selon le
principe de Machado, le réponse est claire : oui, le cheminement de
l’histoire est irréversible. Les milieux humains en particulier, pas plus que
les milieux vivants en général, ne reviennent jamais au point de départ. L’histoire
comme l’évolution vont toujours de l’avant, toujours ailleurs et toujours
engendrant de nouvelles réalités. Il n’y a que la mécanique – et encore… – pour
revenir à son point de départ, dans l’itération du même comme font les moteurs
à piston ; mais dès qu’il y a vie, donc interprétation, il y a trajection
et chaînes trajectives, donc évolution et histoire.
XVII. La question posée, toutefois,
implique l’irréparable, voire l’inéluctabilité de la catastrophe. Ce qu’on
appelle aujourd’hui l’anthropocène a-t-il donc dépassé des seuils au delà
desquels s’enchaîneront des transformations qui risquent de rendre la Terre
inhabitable, autrement dit d’entraîner la fin du monde pour nous autres
humains ? Au point actuel, les plus mécanistes des sciences de la nature elles-mêmes
n’ont pas de réponses certaines à ce sujet ; c’est dire qu’a fortiori, le casuisme trajectif de la
mésologie en a encore moins. Tout ce que
nous pouvons faire en réalité, c’est de corriger les pratiques dont nous savons
aujourd’hui pertinemment qu’elles sont en train de rendre la Terre inhabitable,
ce dans un avenir plus ou moins lointain, mais que nul n’est en mesure de
prévoir. Raison de plus pour agir vite, au lieu de forclore la question comme
les climatosceptiques et leurs consorts.
XVIII. Que faire donc en
pratique ? L’agenda est déjà rempli depuis longtemps, et ce en détail, par
l’écologie politique. Reste à y choisir
des priorités. J’en verrai une par-dessus tout : en finir avec
l’agriculture industrielle, qui assassine les sols, ravage la biosphère, décime
la paysannerie et répand la malbouffe, sans parler du massacre des paysages.
Comme insoutenabilité, impossible de faire pire ! Je terminerai donc par
l’idée que, dépassant pour de bon la modernité (ce qui n’est pas revenir en
arrière, mais outrepasser), il nous faut recouvrer notre médiance avec la terre
(au sens pédologique) comme avec la Terre (au sens de la biosphère)[25],
au lieu, comme nous y pousse encore l’abstraction moderne, de nous figurer que
nous pourrons nous sauver par le cocktail à la fois élitiste et irresponsable
de la géoingénierie et du transhumanisme[26].
Palaiseau, 9 avril
2018.
Cité des sciences et de l’industrie
Cycle de conférences du printemps 2018 :
Les vivants façonnent leur milieu… et vice versa
Conférence du mardi 10 avril 2018
Révisé le 10/4/18
Géographe et
orientaliste né en 1942 à Rabat, Augustin Berque est directeur d’études en
retraite à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), où, de 1978
à 2017, il a enseigné la japonologie et la géographie culturelle, puis la
mésologie. Membre de l’Académie européenne, il a été en 2009 le premier
Occidental à recevoir le Grand Prix de Fukuoka pour les cultures d’Asie, et en
2017 le premier Français admis au Palais de l’environnement terrestre (Chikyû
kankyô dendô 地球環境殿堂) de Kyôto, qui
commémore le protocole de 1997 sur les émissions de gaz à effet de serre.
[1] Sur ce thème, v. Augustin BERQUE, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux
humains, Paris, Belin, 2000, et plus particulièrement « La chôra chez Platon », p. 13-27 dans
Thierry PAQUOT et Chris YOUNÈS (dir.) Espace
et lieu dans la pensée occidentale, Paris, La Découverte, 2012.
[2] Sur la mésologie en général, v.
Augustin BERQUE, La Mésologie, pourquoi
et pour quoi faire ?, Nanterre-La Défense, Presses de l’université
Paris Ouest, 2014 ; Là, sur les
bords de l’Yvette. Dialogues mésologiques, Bastia, éditions Éoliennes,
2017 ; et Glossaire de mésologie,
Bastia, éditions Éoliennes, 2018. Plus généralement, v. Marie AUGENDRE,
Jean-Pierre LLORED, Yann NUSSAUME (dir.) La
Mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ?, Paris, Hermann,
2018 ; ainsi que, pour suivre l’actualité de la recherche, le site créé
par Yoann MOREAU, <http://mesologiques.fr>.
[3] Jakob von UEXKÜLL, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und
Menschen (Incursions dans les milieux
animaux et humains), Hambourg,
Rowohlt, 1934 ; trad. par Philippe Muller, Mondes animaux et mondes humains, Paris, Denoël, 1965 ; et par
Charles Martin-Freville, Milieu animal et
milieu humain, Paris, Rivages, 2010. NB : cette seconde traduction,
améliorée à divers égards, ne comporte pas la seconde partie de l’ouvrage,
pourtant essentielle au propos d’Uexküll : Bedeutungslehre (Étude de la
signification).
[4] WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu (Milieux. Étude de l’entrelien humain),
Tokyo, Iwanami, 1935 ; trad. par Augustin Berque, Fûdo. Le milieu humain, Paris, CNRS, 2011.
[5] Qu’avait une première fois fondée
le médecin Charles Robin, disciple d’Auguste Comte et créateur du terme
« mésologie », qu’il introduisit lors de la première séance de la
Société de biologie, le 7 juin 1848, mais cela dans un sens positiviste et
dualiste qui diffère profondément de la mésologie telle qu’entendue ici. La
conception que s’en faisait Robin se reflète dans la définition que la première
édition du Petit Larousse (1906) donnait de ce terme : « MÉSOLOGIE (zo-lo-ji) n. f. Partie de la biologie
qui traite des rapports des milieux et des organismes ». Dans cette
définition, « milieu » est entendu au sens où l’on parle aujourd’hui
d’environnement.
[6] Augustin BERQUE, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et
histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
[7] La double articulation a été
introduite par André MARTINET, Éléments
de linguistique générale, Paris, Colin, 1961. Dans le langage humain, un
énoncé s’articule sur deux plans : 1. en unités pourvues de sens, dont les
plus petites sont appelées monèmes ou morphèmes ; 2. en unités dépourvues
de sens, dont les plus petites sont appelées phonèmes, et qui sont en nombre
limité dans chaque langue. La combinaison des deux plans fait qu’à partir d’un
petit nombre de phonèmes, on peut former des milliers de monèmes, lesquels,
dans chaque langue, peuvent être agencés en une infinité de messages,
re-présentant (rendant présent) n’importe quel fait indépendamment du temps et
de l’espace. On ne confondra donc pas la linguistique dans la biosémiotique (où
elle se fonde néanmoins), anticipée par la Bedeutungslehre
d’Uexküll, mais dont le véritable fondateur est Jesper HOFFMEYER, Signs of meaning in the universe.
Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1996 (1993 pour
l’édition danoise).
[8] Sur la triplicité de sens de
l’écoumène, v. Augustin BERQUE, Écoumène,
op. cit. et Glossaire de la
mésologie, op. cit. Au sens d’ensemble des milieux humains (ce qui comprend
tout ce qui existe pour nous, au delà même de la Terre), « écoumène »
(du grec ἡ οἰκουμένη, l’habitée) est employé au féminin, par distinction avec
son acception traditionnelle en géographie, où il est employé au masculin et au
sens de partie habitée de la Terre, comme telle opposé à l’érème
(« désert » au sens classique, i.e. wilderness).
[9] Sur ce thème, v. le site créé par
Claude PLOUVIET « Tiersinclus.fr. Le blog du tiers inclus et de la
mésologie », lien www.tiersinclus.fr.
[10] Le
symbole et la technique s’ébauchent dans le reste des milieux vivants, mais – à
commencer par la double articulation du langage – ils connaissent un
déploiement incommensurable dans les milieux humains (v. plus loin, IX).
[11] C’est ce à quoi
reviennent les paradoxes de la mécanique quantique, d’où le principe posé par
Werner HEISENBERG, La nature dans la
physique contemporaine (Das Naturbild der heutigen Physik, 1955), Paris, Gallimard, 1962, p.
33-34 : « S’il est permis de parler de l’image de la nature selon les
sciences exactes de notre temps, il faut entendre par là, plutôt que l’image de
la nature, l’image de nos rapports avec la nature. (…) C’est avant tout le
réseau des rapports entre l’homme et la nature qui est la visée de cette
science. (…) La science, cessant d’être le spectateur de la nature, se
reconnaît elle-même comme partie des actions réciproques entre la nature et
l’homme. La méthode scientifique, qui choisit, explique, ordonne, admet les
limites qui lui sont imposées par le fait que l’emploi de la méthode transforme
son objet, et que, par conséquent, la méthode ne peut plus se séparer de son
objet ». Ce que Heisenberg appelle ici « la méthode », ce n’est
autre que l’interprète I dans la relation S-I-P . En l’occurrence,
l’interprète I de la nature S est un dispositif expérimental purement matériel
(celui qui saisira la particule S soit en tant qu’onde P soit en tant que
corpuscule P’), mais il s’y rajoute le physicien I’, soit (S-I-P)/I’-P’, et
ainsi de suite, en chaîne trajective (v. plus bas, X).
[12] Ce qui, dans le fil du principe
posé par Heisenberg, est appelé « réel voilé » par Bernard
d’ESPAGNAT, Traité de physique et de
philosophie, Paris, Fayard, 2002.
[13] J’ai introduit les notions de
trajection, trajectivité etc. dans Le
Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986,
1997 ; et plus généralement dans Médiance,
de milieu en paysage, Paris, Belin/RECLUS, 1990, 2000.
[14] « Moment structurel » (kôzô keiki構造契機,
traduction de l’allemand Strukturmoment),
est à comprendre comme le couplage dynamique de deux termes, soit ici la
concrescence entre, d’une part, l’être individuel abstrait, et d’autre part son
milieu socio-écologique. La médiance signifie que l’être concret, dans sa
concrescence, compose indissociablement et indéfiniment les deux termes.
[15] André LEROI-GOURHAN, Le Geste et la parole, Paris, Albin
Michel, 1964, 2 vol.
[16] J’ai introduit ce terme dans Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient
vers l’Occident (Paris, Le Félin, 2010) à propos de l’histoire qui a
conduit d’un mythe (l’Âge d’or en Europe, la Grande Identité Datong 大同 en Chine)
à l’urbain diffus contemporain, dont l’empreinte écologique en arrive à
modifier l’homéostasie climatique de la planète.
[17] Sur ce thème, v. YAMAUCHI Tokuryû,
Rogosu to renma, Tokyo, Iwanami, 1974 ;
trad. par Augustin Berque, avec le concours de Romaric Jannel, Logos et lemme, Paris, CNRS, sous presse
(v. notamment ma postface, « Sur la possibilité d’une logique des milieux »).
[18] Robert BLANCHÉ et Jacques DUBUCS, La
Logique et son
histoire, Paris, Armand Colin, 1996 (1970), p. 35 : « [Pour Aristote] un prédicat n’a pas proprement
d’existence, il n’est pas un être, mais il présuppose des existants desquels il
puisse être prédiqué et qui, dans une proposition, joueront le rôle de sujets, hupokeimena. […] Le sujet doit en effet
y être entendu comme une substance ». Sur NISHIDA Kitarô (1870-1945) et ce que
celui-ci a appelé « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) ou « logique du
prédicat » (jutsugo no ronri 述語の論理), ou plus largement sur l’école de Kyôto et l’idéologie du
« dépassement de la modernité » (kindai
no chôkoku 近代の超克), v. Augustin BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la
modernité, Bruxelles, Ousia, 2 vol., 2000, et plus particulièrement mes
deux articles « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité
? », p. 41-52, et « Du
prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », p. 53-62
dans Livia MONNET (dir.) Approches
critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal,
Presses de l'Université de Montréal, 2002.
[19] C’est le thèse que je soutiens
dans Poétique de la Terre, op. cit.
[20] François JACOB, dans La logique du vivant. Une histoire de
l’hérédité, Paris, Gallimard, 1970, p. 329-330, écrivait déjà :
« Que l’évolution soit due exclusivement à une succession de
micro-événements, à des mutations survenant chacune au hasard, le temps et
l’arithmétique s’y opposent. Pour extraire d’une roulette, coup par coup,
sous-unité par sous-unité, chacune des cent mille chaînes protéiques qui
peuvent composer le corps d’un mammifère, il faut un temps qui excède, et de
loin, la durée allouée au système solaire » ; ce que, une génération
plus tard, Hervé ZWIRN a précisé comme suit : « Les molécules responsables
de la presque totalité des fonctions biologiques, les enzymes, sont des
protéines, c'est-à-dire des chaînes d'au moins une centaine d'acides aminés mis
bout à bout. Les protéines naturelles utilisent une vingtaine d'acides aminés.
Il y a au minimum 10130 possibilités de protéines différentes.
Supposons que chaque atome de l'Univers observable (il y en a environ 1080)
soit un ordinateur, et que chacun énumère mille milliards de combinaisons par
seconde – ce qui dépasse les capacités actuelles des ordinateurs. Il faudrait
mille vingt-et-une fois l'âge de l'Univers pour terminer la tâche d'énumération
! Or, seule une infime fraction de ces possibilités est compatible avec la vie
telle que nous la connaissons. L'Univers est donc beaucoup trop jeune pour que
ce processus se soit uniquement déroulé par un mécanisme d'essais aléatoires
systématiques explorant la totalité des possibilités » (« Énumérer la vie », La Recherche, 365, juin 2003, p. 104.).
[21] Dans ses fameuses Mythologies (Paris, Seuil, 1957), Roland
BARTHES a défini le mythe comme l’effet d’une « chaîne sémiologique »
où le signe (signifiant/signifié) antérieur devient le signifiant d’un signifié
postérieur ; soit, indéfiniment, comme dans les chaînes trajectives,
signifiant / signifié → (signifiant / signifié) / signifié’ → ((signifiant /
signifié) / signifié’) / signifié’’ → (((signifiant / signifié) / signifié’) /
signifié’’) / signifié’’’ etc.. NB : Barthes pour sa part adoptait une
autre figuration de la chaîne sémiologique, mais je veux ici faire ressortir
que le principe est exactement le même que celui, onto-logique (à la fois
logique et ontologique), des chaînes trajectives.
[22] Mécanicisme qu’illustra Jacques
MONOD, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la
biologie moderne, Paris, Seuil, 1970, en allant jusqu’à inventer la chimère
d’une « téléonomie » définie comme suit : « La notion de
téléonomie implique l’idée d’une activité orientée, cohérente et constructive.
Par ces critères, les protéines doivent être considérées comme les agents
moléculaires essentiels des performances téléonomiques des êtres vivants » (p.
67), tout en écartant la moindre idée de subjectité du vivant : «
L’organisme est une machine qui se construit elle-même. (…) Toutes ces
performances téléonomiques des protéines reposent en dernière analyse sur leurs
propriétés dites ‘stéréospécifiques’, c’est-à-dire leur capacité de
‘reconnaître’ d’autres molécules (y compris d’autres protéines) d’après leur
forme, qui est déterminée par leur structure moléculaire » (p. 69). Il va sans
dire qu’appliquée à l’évolution, une telle interprétation ne tient pas debout,
pour les raisons mathématiques mentionnées plus haut (XII). Notons néanmoins
que le mécanicisme néo-darwinien, avec la montée en puissance de
l’épigénétique, est en train de suivre un chemin de Damas qui pourrait bien le
mener un jour ou l’autre à reconnaître le vivant non plus comme une machine,
mais comme un sujet capable d’interpréter casuellement les circonstances.
Témoin ces lignes récentes d’un auteur qu’on ne peut taxer de mysticisme, Joël
de ROSNAY, La Symphonie du vivant.
Comment l’épigénétique va changer votre vie, Paris, LLL (Les Liens qui
Libèrent), 2018, p. 17-18 : « Les différentes cellules de l’organisme
contiennent au sein de leur noyau un même exemplaire d’ADN, renfermant la
totalité de l’information génétique nécessaire à toutes les cellules de
l’organisme. Pourtant chaque cellule (de foie, de rein ou de muscle) ne lit que
les gènes (les pages du livre de cuisine) utiles à la production des protéines
dont elle a besoin pour son propre fonctionnement ». On notera ce
« ne lit que », lequel implique
une interprétation qui relève non pas de la mécanique, mais de la subjectité,
selon ce que j’appelle ici « principe de Machado ».
[23] Je copie ce poème célèbre
d’Antonio MACHADO (1875-1939) sur Internet à « Caminante, no hay
camino ». Traduction A.B.
[24] Par exemple dans les Confessions, X, 24 : manes in memoria mea [, Domine], et illic te
invenio (tu demeures en ma conscience [, Seigneur], et c’est là que je te
trouve). Conscientia existait
pourtant déjà en latin classique…
[25] J’esquisse quelques pistes en ce
sens dans Recosmiser la Terre. Quelques
leçons péruviennes, Paris, éditions B2, 2018.
[26] Sur ce cocktail éminemment
moderne, v. Augustin BERQUE, « Anthropocene and transhumanism, or the
ecumene as an anthroposcene », p. 1-10 dans SUGIHARA S., NAKASHIZUKA T. et
SAIJO T. (dir.) Asia’s
transformations to sustainability: past, present and future of the anthropocene, Kyoto,
Research Institute on Humanity and Nature, 2017. L’idée que j’y soutiens est que, tout en
changeant d’échelle, le couple cyborgiaque de la géoingénierie et du
transhumanisme ne fait qu’illustrer le moment structurel de l’existence humaine
(la médiance).
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