par Catherine Larrère
Professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Spécialiste de philosophie morale et politique
Professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Spécialiste de philosophie morale et politique
En 1973, Georges Canguilhem prononçait une
conférence intitulée « la question de l’écologie »[1]. Pour parler d’un sujet
qui, à cette époque, commençait à attirer l’attention mais était encore assez
peu traité, il trouvait ses références dans les réflexions du Club de Rome,
dont le fameux rapport Meadows, Les
limites de la croissance[2] était paru l’année
d’avant. Il s’intéressait également au mouvement écologique en train de se
constituer en France, autour de l’hebdomadaire Le Sauvage et des articles d’André Gorz, notamment[3]. Le point de départ de sa
réflexion était donc l’ambiguïté du terme écologie, qui désigne à la fois une
discipline scientifique (l’étude des relations des organismes et de leur
milieu) et un courant idéologique, qui mobilise politiquement autour des
questions d’environnement (pollutions, déchets, épuisement des ressources…). Le
souci de Canguilhem était alors de distinguer entre les « propositions de
caractère scientifique, sur lesquelles on peut s’appuyer » (la
détermination des limites de nos actions techniques et économiques dans le
milieu naturel : on ne pouvait poursuivre une croissance illimitée sur une
Terre limitée), et les thèses idéologiques à finalité politique. De ce point de
vue, il renvoyait dos à dos technophobes -qui annoncaient déjà la catastrophe
imminente, et technophiles -qui contestaient la fatalité de l’échéance et se
reposaient sur leur optimisme technologique (on trouvera toujours une solution
technique à des problèmes techniques). Canguilhem articulait ainsi deux
critiques : le rejet du naturalisme, d’une part, la mise en cause de la
conception dominante des rapports entre science et technique, d’autre part.
Le rejet du naturalisme visait à la fois la
dimension idéologique (le mythe du naturel) et scientifique (la tentation d’une
explication purement naturaliste des conduites humaines). À ceux qui croyaient
à la possibilité d’un retour à l’état de nature, à « des îlots de pureté
anti-technologique dans un monde abandonné à ses égarements »[4], Canguilhem répondait
qu’il y avait bien longtemps que la nature n’était plus naturelle, car l’homme,
en travaillant, a transformé son environnement (ce fut l’argument de Marx dans
l’Idéologie allemande, repris par
l’anthropologue Leroi-Gourhan, que Canguilhem appréciait et citait souvent). A
ceux qui, à la façon de la sociobiologie, posaient que l’homme doit être
considéré comme un animal, et que les conduites humaines relèvent de la même
explication naturaliste que toutes les conduites animales, Canguilhem
répliquait qu’entre l’homme et la nature s’interposaient des relations sociales
et que l’occultation de celles-ci pouvait être « tenue pour une erreur, et
même une mystification intéressée, dissimulant sous les apparences d’une
rupture d’équilibre biologique la crise d’un système de rapports économiques de
production. »[5]
Aux technophiles, il objectait leur
incapacité à comprendre ce qui se passait : pourquoi la technique
était-elle devenue perturbatrice ? C’est là que s’élaborait pour lui une
« question de l’écologie » dont « le lieu authentique
de formulation est la pensée philosophique »[6]. Reprenant une idée déjà
développée plus de vingt ans auparavant dans son article « Machine et
organisme », Canguilhem plaidait pour que l’on cessât de ne voir dans la
technique qu’un « effet de la science », et pour qu’elle fût appréhendée
d’abord comme « un fait de la vie »[7]. A partir du moment où la
technique ne serait plus envisagée comme une théorie appliquée, mais comme la
façon qu’ont les hommes de s’adapter à leur environnement, on pourrait se
demander pour quelles raisons la technique avait cessé d’être une forme de
régulation, capable de se corriger, pour devenir la source de perturbations.
Mais, à mettre ainsi en avant
« l’originalité vitale irréductible à la rationalisation » de la
technique, à renvoyer toutes les études aux travaux de Darwin[8], Canguilhem ne
rétablissait-il pas le naturalisme qu’il avait préalablement évincé ? Loin
de s’opposer à tout naturalisme, ne laissait-il pas le choix entre différentes
sortes de naturalisme ? Cette ambiguïté montre bien l’importance du
naturalisme dans la question de l’écologie : c’était déjà le cas à
l’époque où Canguilhem prononçait sa conférence, et c’est toujours le cas
aujourd’hui, presque quarante après, alors que la « question de
l’écologie », introduite par Canguilhem, a pris de plus en plus
d’importance. Nous voudrions donc, en suivant les trois directions indiquées
par Canguilhem), montrer, à partir d’une
étude des réflexions qui se sont développées durant ces presque quarante
années, comment la question de l’écologie peut toujours être appréhendée comme
autant de querelles autour du
naturalisme.
I/Nature ou moralité
En 1973, l’année où Canguilhem prononçait
sa conférence, un philosophe australien, Richard Routley, dans un papier
présenté à un colloque international de philosophie, se demandait si nous
avions « besoin d’une nouvelle éthique, d’une éthique
environnementale »[9]. Routley (qui allait
bientôt se faire appeler Sylvan, pour marquer sonn ralliement à la cause de la
nature) y construisait un cas fictif, celui du dernier homme à survivre sur
terre (après une catastrophe mondiale), « Mr Last Man ». Celui-ci
s’emploie, avant de disparaître, à détruire tout ce qui l’entoure, animaux,
plantes, paysage divers… Comment évaluer
ce qu’il fait ? Si l’on s’en tient à l’éthique dominante dans le monde
occidental, où il n’y a de droits et de devoirs qu’entre les hommes, il ne fait
rien de mal, puisqu’il ne lèse personne. Pourtant –et l’objectif de cette expérience de pensée
était d’attirer notre attention sur ce point- nous avons l’intuition que ce que
fait « Mr Last Man » est moralement condamnable[10].
L’éthique environnementale, qui s’est
développée dans la foulée de cet article, à partir des années 1970,
principalement dans les pays anglophones (et, plus précisément, dans les
anciennes colonies anglaises de peuplement : Australie, Amérique du Nord),
s’est efforcée d’élaborer conceptuellement cette intuition. Cela s’est
fait autour de l’idée de la valeur
intrinsèque, celle des entités naturelles, ou de la nature comme un tout.
L’expression de « valeur intrinsèque » se trouve chez Kant : a
une valeur intrinsèque tout ce qui doit être traité comme une « fin en
soi », c’est –à-dire l’humanité et, plus généralement, tout être
raisonnable. Tout le reste n’est considéré que comme un moyen, comme une valeur
instrumentale : « les êtres dont l’existence dépend, à vrai dire, non
pas de notre volonté mais de la nature, n’ont cependant, quand ce sont des
êtres dépourvus de raison, qu’une valeur relative, celle de moyens, et voilà
pourquoi on les nomme des choses »[11]. L’éthique
environnementale va nommer « anthropocentrique » cette position qui
ne reconnaît de dignité morale qu’aux humains, et laisse en dehors de son
champ, tout le reste, c’est-à-dire la nature, vue comme un ensemble de ressources,
ou de moyens, à la disposition de l’humanité. L’ambition de l’éthique
environnementale est au contraire de montrer que les entités naturelles ont une
dignité morale, sont des valeurs intrinsèques.
L’idée est que, là où il y a des moyens, il
y a nécessairement des fins. Or, tous les organismes vivants, du plus simple au
plus complexe, qu’il s’agisse d’animaux (même dépourvus de sensibilité), de
végétaux, ou d’organismes monocellulaires…, tous déploient, pour se conserver
dans l’existence et se reproduire, des stratégies adaptatives complexes, qui
sont autant de moyens au service d’une fin. Il y a donc des fins dans la
nature. On peut considérer tout être vivant comme l’équivalent fonctionnel d’un
ensemble d’actes intentionnels, comme une « fin en soi » :
« les organismes, affirme Rolston, un des théoriciens de la valeur
intrinsèque, valorisent ces ressources de façon instrumentale, parce qu’ils
s’accordent à eux-mêmes, à la forme de vie qu’ils sont, une valeur
intrinsèque. »[12]. A l’opposition entre les
personnes humaines et les choses, caractéristique de l’anthropocentrisme, se
substitue une multiplicité d’individualités téléonomiques, qui peuvent toutes
prétendre, au même titre, être des fins en soi, et donc avoir une valeur
intrinsèque[13].
Tout individu vivant est, à égalité avec tout autre, digne de considération
morale : c’est ce qu’on appelle le biocentrisme, et cela fonde une éthique
du respect à l’égard de la nature[14].
Certains environnementalistes, cependant,
ont pu objecter à l’éthique biocentriste qu’elle ne reconnaît de valeur qu’à
des individus (les entités téléonomiques) alors que la protection de la nature,
qu’elle est censée diriger, a plutôt affaire à
des espèces ou à des populations qu’à des individus et ne prend pas
seulement en considération des êtres vivants, mais tout autant des entités
physico-chimiques (comme l’eau) ou des ensembles complexes réunissant entités
vivantes et non vivantes, comme les écosystèmes. On a donc proposé soit
d’étendre la valeur intrinsèque à d’autres entités que des individus (La
Convention de Rio, en 1992, parle ainsi de « valeur intrinsèque » de
la biodiversité), soit de situer la moralité non dans des entités distinctes,
mais dans la relation que nous entretenons avec des ensembles naturels. C’est ainsi
que John Baird Callicott a été conduit à reprendre et à développer la « Land ethic » présentée par Aldo
Leopold, un forestier américain devenu militant de la protection de la nature,
dans un livre publié en 1949, Almanach
d’un comté des sables, et qui se résumait en une formule, où étaient
définis nos rapports à « la communauté biotique » : « Une
chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la
beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à autre
chose. »[15]
On peut parler, à propos d’une éthique ainsi définie, d’écocentrisme[16].
Biocentrisme et écocentrisme ne sont pas
équivalents (ne serait-ce que parce que le premier, qui fait du respect de la
nature une affaire de principe, est déontologique, alors que le second se règle
sur l’évaluation des effets, et donc est conséquentialiste). Vus de France, on
a eu cependant tendance à les confondre dans une même appellation, celle de
« deep ecology », ou
d’écologie profonde. L’expression avait été introduite par un philosophe
norvégien, Arne Naess, dans un article publié, lui aussi, en 1973, « The
Shallow and the Deep, Long-Range Ecology Movement »[17]. Il n’y proposait pas une
éthique, à proprement parler, au sens d’un ensemble de règles impératives, mais
plutôt une « écosophie », une sagesse pratique, liant une recherche
d’épanouissement personnel à un mouvement politique et social[18]. Mais il parlait aussi
d’ «égalitarisme biosphérique », et l’expression de deep ecology fut adoptée, en Amérique du
Nord, par des mouvements militants de protection de la nature sauvage. On en
vint alors, en France, à désigner syncrétiquement les éthiques
environnementales sous le nom de deep
ecology. À désigner, c’est à dire à dénoncer. La critique la plus virulente
s’en trouve dans le livre de Luc Ferry, paru peu après le Sommet de la Terre à
Rio, Le nouvel ordre écologique[19].
Sa critique de la deep ecology y est présentée comme un combat de l’humanisme contre
le naturalisme. Cela se fait d’un point de vue kantien : comment peut-on
prétendre trouver des normes morales dans la nature, quand la moralité
s’affirme dans la distinction du règne de la nécessité et de la liberté, dans
l’arrachement à la nature, nullement dans son exaltation? Dans les théories de
la valeur intrinsèque des entités naturelles, Ferry voyait ainsi une attaque
dangereuse menée contre l’humanité, comme si, en reconnaissant des droits à la
nature, on créait autant de concurrents aux droits de l’homme. Cela le
conduisait à assimiler écologisme et fascisme : Hitler et le mouvement nazis
ne s’étaient-ils pas érigés en défenseurs de la nature, se montrant, sur ce
point comme sur tant d’autres, des
héritiers du romantisme?
Une telle condamnation reposait sur des
amalgames aussi rapides que contestables : tous les défenseurs de la nature
ne sont pas des romantiques, et le seraient-ils, tous les romantismes n’ont pas
conduit au fascisme (et, en aucun cas, le romantisme américain, qui est,
indubitablement, une des sources –mais pas la seule- de ces éthiques
environnementales). La critique de Ferry, cependant, mettait en évidence un
point incontestable de ces éthiques : elles prenaient, le plus souvent, la
forme d’un procès fait à l’humanité au nom de la nature. En témoignait, spectaculairement, la notion
de wilderness, centrale dans les mouvements
américains de protection de la nature. Difficile à traduire en français, le
terme de wilderness, issu du vieil
anglais (et que l’on trouve notamment dans les traductions anglaises de la
Bible), désigne une nature vierge ou sauvage, intouchée par l’homme. C’est
cette nature, celle que les colons européens s’empressèrent de détruire, en
s’installant sur le continent américain, mais que l’on se mit à valoriser quand
elle fut menacée de disparition. Les mouvements de protection de la nature se
sont consacrés, depuis le milieu du XIXe siècle, à la défense de la wilderness, ce qui a abouti, en 1964,
au Wilderness act (loi cadre, qui
fixe, au niveau national, les règles de la protection de la nature). Celui-ci
consacre la définition de la wilderness
comme une nature dont les processus ne sont pas entravés par l’intervention
humaine, et où les hommes ne peuvent être, tout au plus, que des
« visiteurs temporaires »[20].
Cette conception de la wilderness s’inscrit dans la série des dualismes qui caractérisent la
vision moderne de la nature, où l’on oppose l’homme et la nature, le sauvage et
le domestique, le sujet et l’objet. Simplement, là où ces oppositions tendent
généralement à valoriser l’action humaine, dans sa lutte contre la nature, la
conception de la wilderness inverse
les signes, faisant de l’homme le destructeur d’une nature qu’il convient de
sauver. Mais, dans cette inversion des signes de valeur, le dualisme se
maintient, ce qui l’expose à la critique : ce « grand partage »[21] entre nature et culture,
s’il a jamais existé, n’a plus lieu d’être. Aux amoureux de la wilderness, on peut faire la même
objection que celle que faisait Canguilhem aux échappés de 1968, partis élever
des chèvres dans les Cévennes ou sur le Larzac : la nature à laquelle vous
voulez retourner n’existe plus. Les colons européens arrivés en Amérique n’ont
pas découvert une nature vierge : celle-ci avait été occupée, et
transformée, depuis longtemps, par les Indiens.
Aussi, quand on a créé les premiers parcs nationaux, en a-t-on chassé
les Indiens qui s’y trouvaient. Façon un peu brutale de rendre
« sauvage » ce qui ne l’avait jamais vraiment été, et cela révélait
la dimension culturelle de l’idée de wilderness :
un espace de récréation pour des Américains blancs, appartenant le plus souvent
aux élites urbaines[22]. C’est pourquoi la
diffusion, à l’ensemble de la planète d’un modèle de protection de la nature en
wilderness (les critères de l’UICN,
l’organisation internationale de protection de la nature, s’alignent sur le
modèle américain) menace de détruire d’autres formes culturelles de rapport à
la nature, qui ne sont pas construites sur le modèle dualiste occidental.
Imposer des parcs naturels, sur le modèle de la wilderness, en Asie du Sud Est, par exemple, où les populations
locales vivent dans et de la forêt, ce ne serait pas protéger la nature, ce
serait créer, en en chassant les indigènes, des espaces récréatifs pour
touristes américains[23].
Mais il y a de moins en moins de raisons de
s’en tenir à ce dualisme. La protection de la nature s’est longtemps appuyée
sur une conception des équilibres naturels, à laquelle la notion écologique de
« climax » (état d’équilibre auquel devait conduire, en dehors de
toute intervention humaine, la dynamique des successions) donnait
consistance : il s’agissait alors d’exclure l’homme de la nature, pour
laisser celle-ci retrouver son état d’équilibre. Mais cette conception,
dont la référence a été l’écologie
systémique, introduite par Tansley et systématisée par les frères Odum dans les
Fundamentals of ecology (1962), a
laissé place, dans les années 1990, à une vision plus dynamique. On admet
désormais que les milieux qui nous entourent sont le produit d'une
histoire : celle des perturbations qu'ils ont subies, ou qu’ont subis les
milieux avec lesquels ils interagissent. La plus ou moins grande richesse
spécifique, comme la structure des mosaïques d'écosystèmes, résultent donc d'un
processus historique où s'articulent perturbations naturelles et perturbations
d’origine humaine. Si la nature a une histoire, si elle co-évolue avec les
sociétés humaines, on ne peut plus considérer l'homme comme le grand
perturbateur des équilibres naturels. On peut intégrer les activités et les
constructions humaines dans le champ de l’écologie. A l’idée d’une préservation
de la wilderness, a succédé celle d’une gestion, ou plutôt d’un pilotage, de la
biodiversité[24].
On peut, certes, sortir du dualisme et
considérer que, bien loin de s’opposer à la nature, les hommes en font partie.
Mais cela ne conduit-il pas, si l’on veut
continuer à pouvoir parler de nature, à considérer que tout est naturel, à
passer du dualisme ou monisme ? C’est ce type de naturalisme que
représente l’hypothèse de l’anthropocène.
II/ Une humanité naturelle :
l’anthropocène
Le terme a été introduit par deux
scientifiques, Eugene Stoermer, géologue et biologiste américain et Paul
Crutzen, géochimiste néerlandais (prix Nobel de chimie), en 2000, dans la
newsletter de l’IGBP (International Geosphere-Biosphere Programme)[25], puis, en 2002 dans un
article de Nature[26].
Aux deux ères que l’on distingue déjà au sein du quaternaire, le
pléistocène (marqué par des cycles glaciaires dans l’hémisphère nord) et
l’holocène (où le recul des glaciations, s’accompagne, pour les hommes, du
développement de l’agriculture et de la sédentarisation), ils proposent d’en
rajouter une troisième, l’anthropocène, marquée par l’impact des actions
humaines : « Considérant (…)
l’importance croissante des impacts des actions humaines sur terre et
dans l’atmosphère, à une échelle globale, il nous a semblé plus qu’approprié de
mettre l’accent sur le rôle central de l’humanité en géologie et en écologie en
proposant d’utiliser le terme ‘anthropocène’ pour l’époque géologique en
cours »[27].
L’appellation ne pourrait être officiellement adoptée que par un Congrès
international de géologie (le prochain aura lieu en 2012).[28] Mais, avant même son
éventuelle reconnaissance officielle, le terme a déjà eu du succès. Des milieux
des sciences de la terre, où il a été introduit, il a été repris dans d’autres
secteurs : en biologie (E. O. Wilson), en économie (Jeffrey Sachs lui
consacre un chapitre de son livre Common
Wealth, préfacé par E. O. Wilson[29]), en histoire :
l’historien du postcolonialisme, Dipesh Chakrabarty en fait l’argument d’un
article consacré aux rapports entre l’histoire du climat et l’histoire humaine[30].
Il s’agit donc d’une estimation globale (au
niveau de la Terre entière, ou de la biosphère) des effets involontaires des
actions humaines (conséquence des émissions de gaz à effets de serre, et
particulièrement de CO2, le changement climatique n’a été ni prévu ni voulu par
ceux qui y ont contribué), qui modifie considérablement la vision de
l’humanité. Celle-ci, en effet, est présentée comme une force géologique, et
même comme la force géologique principale, capable de modifier les grands
cycles planétaires, et l’ayant dèjà fait : l’anthropocène est une
« métaphore forte mais informelle des changements climatiques »[31]. Cela conduit à une
double naturalisation : celle de la catastrophe, et celle de l’humanité.
L’humanité, comme force
géologique, fait partie de la nature. Mais elle ne s’y résorbe pas jusqu’à
passer inaperçue : l’anthropocène fait voir dans la nature (dans la
stratigraphie) l’impact des actions humaines, « l’anomalie humaine ».
« l’Anthropocène n’est pas ‘l’ère des humains’, c’est une ère de
crise », précisent les auteurs d’un livre qui vise à populariser la notion[32]. Il ne s’agit pas
d’humaniser la nature, il s’agit d’inscrire la catastrophe humaine dans la
nature. Aussi l’anthropocène n’est-il pas seulement une métaphore du changement
climatique, il l’est de tous les dérèglements que les hommes ont introduit dans
la nature. Jean-Paul Deléage résume ainsi les arguments qui militent en faveur
de l’adoption du terme : « multiplication de la population humaine par un
facteur 10 au cours des trois derniers siècles, et augmentation corrélative du
bétail ; épuisement des ressources fossiles et relâchement massif de CO2
dans l’atmosphère ;
utilisation massive d’eau douce pour l’agriculture ; intensification du
rythme d’extinction d’espèces par un facteur 1000 (voir 10 000 dans les forêts
tropicales) »[33].
L’anthropocène, ou la
catastrophe naturalisée
L’humanité, est, du même
coup, également naturalisée. Elle peut être
qualifié comme « espèce » (biologique). C’est assez normal
chez les spécialistes de sciences de la nature : ils rencontrent les
hommes dans leur dimension naturelle. Mais, dès qu’il s’agit de faire appel,
politiquement, à la nécessité, pour les hommes, d’intervenir, ils rétablissent
le dualisme qu’évacuait leur approche scientifique. Ils restent donc dans la dualité qui, comme
l’a montré Descola, caractérise le « naturalisme » occidental :
continuité des extériorités, discontinuité des intériorités[34].
Chakrabarty, parce qu’il est
du côté des sciences sociales, tire de façon plus radicale les conséquences de
l’adoption de l’anthropocène. Dans les quatre thèses qu’énonce son article, il
prend bien soin de noter que, parler d’anthropocène, c’est-à-dire prendre en
compte que l’humanité est devenue une « force géophysique » (première
thèse), a pour conséquence l’effacement du dualisme moderne : « les
origines anthropogéniques du changement global signent la ruine de la
distinction humaniste classique entre histoire naturelle et histoire
humaine »[35]
(deuxième thèse). La troisième thèse tire les conséquences des deux
premières : nous ne devons plus considérer l’humanité seulement comme un
sujet historique, mais aussi comme une espèce : « l’hypothèse
géologique de l’anthropocène exige que nous
fassions se rencontrer l’histoire globale du capitalisme et l’histoire
humaine de l’espèce »[36].
Considérer l’humanité comme
une espèce, n’est-ce pas s’exposer à la « mystification » naturaliste
que dénonçait Canguilhem quand il reprochait aux écologistes d’imputer à la
nature des perturbations d’origine sociale, et, par là même, de masquer la
nature –et la responsabilité- des
problèmes ? Historien du postcolonialisme et héritier de thèses marxistes,
Chakrabarty n’ignore nullement la dimension sociale, et inégalitaire, d’un
changement climatique qui procède d’une industrialisation développée au Nord,
et en fait peser lourdement les conséquences sur des populations du Sud qui n’y
ont pour ainsi dire pas contribué. En cela, l’histoire du changement climatique
relève bien de celle du capitalisme. Mais, par son caractère global, et par
l’importance de la menace qu’il fait peser, le changement climatique a des
effets égalitaires : il expose l’humanité à « un destin
commun ». Cependant, dans ces conditions,
pourquoi considérer l’humanité comme une « espèce » (biologique,
naturelle), non comme un sujet historique unifié, une communauté cosmopolitique[37] ? C’est que,
explique Chakrabarty, la naturalisation de l’humanité en espèce, conséquence de
l’anthropocène, s’accompagne d’un déficit d’intelligiblité. Tant que l’histoire
humaine était séparée de l’histoire de la nature, son principe
d’intelligibilité était celui du verum
factum exposé par Vico et repris par des philosophes de l’histoire comme
Croce ou Collingwood : nous comprenons l’histoire parce que nous l’avons
faite, nous y avons accès de l’intérieur. Or, nous n’avons pas de nous-mêmes
comme espèce, la connaissance que nous pouvons avoir de l’humanité comme sujet
historique, nous n’en avons pas d’expérience intérieure, nous n’y avons qu’un
accès extérieur, par l’intermédiaire des sciences de la nature. Sans doute le
changement climatique est-il « man
made », fait par l’homme, mais il n’est pas fabriqué : nous n’en
avons pas la connaissance que nous avons de notre propre histoire. Le
changement climatique, parce qu’il s’impose
à l’ensemble de l’humanité, pose la question de la collectivité humaine,
mais « c’est une figure de l’universel qui échappe à notre capacité à
faire l’expérience du monde. »[38]
La conséquence d’une telle constatation,
est que, en ce qui concerne le changement climatique (et les problèmes qui y
sont liés), nous devons faire confiance aux scientifiques. Ce qui signifie que,
si le changement climatique requiert un traitement global, comme cela semble
être le cas, celui-ci ne peut pas être démocratique. Qu’est-ce en effet que le
déficit d’intelligibilité, que constate Chakrabarty, sinon celui de
l’expérience partagée qu’est la politique démocratique ? Ce à quoi conduit
la naturalisation de l’humanité, ce n’est pas tant à la négation du social qu’à
celle du politique. Nous nous trouvons collectivement exposés à avoir recours à
des solutions autoritaires, imposées par le catastrophisme, ce qui ne signifie
pas qu’elles soient nécessairement tyranniques ou arbitraires, mais qu’il nous
faut, soit consentir à une politique
dirigiste, inspirée par les scientifiques, soit nous laisser aller au fil de la
nécessité, celle à laquelle les économistes nous demandent de nous soumettre.
De deux choses l’une. Soit, pour échapper
au déficit d’intelligibilité qui résulte de la naturalisation de l’humanité, on
tente de regagner un rapport à soi, dans un « sens partagé de la
catastrophe »[39]. C’est la solution du
« catastrophisme éclairé » exposée par Jean-Pierre Dupuy. Elle
consiste à proposer un modèle de décision, modèle fermé sur lui-même (par
rapport au modèle dendritique du « temps de l’histoire », ouvert sur
la multiplicité des possibles, « le temps du projet » se clôt sur
lui-même, en faisant du futur notre passé) qui ne laisse aucune place à la
délibération[40].
Soit, renonçant au sursaut volontariste du catastrophisme, on prend la voie
qu’indique la naturalisation, celle de l’adaptation. C’est la voie économiste,
et il n’est pas étonnant que la réflexion de Jeffrey Sachs s’inscrive dans la
continuité indiquée par le biologiste Edgar O. Wilson, celle de l’évolution.
Ainsi réunis, biologistes et économistes peuvent envisager le changement
climatique du point de notre capacité à nous y adapter. Il faut pour cela
appréhender l’humanité comme une espèce, mais comme une espèce technicienne,
dont la survie dépend de ses capacités d’innovation technologique. Si elle y
arrive. N’est-ce pas là la question que
posait Canguilhem quand, en appelant à considérer la technique « non
seulement comme un effet de la science (…) mais d’abord comme un fait de la
vie », il indiquait qu’il faudrait pouvoir « comprendre pourquoi la
technique, complément originaire de la régulation de la vie en fonction des besoins,
est devenue historiquement l’instrument de dérégulation dont l’alarme des
écologistes exprime la prise de conscience »[41] ?
III/ Faire ou faire avec : technique
et nature
Le problème ne se trouve-t-il pas dans le
modèle d’intelligibilité que propose Chakrabarty ? C’est un modèle
technique dont l’origine peut se trouver chez Platon, dans la conception du
démiurge exposée dans le Timée, celle
d’un artisan divin qui façonne le monde selon une forme intelligible. Cette
conception du faire transite par la théologie chrétienne (Dieu connaît le monde
parce qu’il l’a fait), pour arriver dans la philosophie moderne où elle est
appliquée à l’homme, en philosophie anglaise, sous la forme du « maker’s argument », ou argument du
fabricant, (chez Hobbes, qui l’applique à la politique, ou chez Locke qui le
met au centre de sa théorie de la propriété) ou de verum factum chez Vico (verum
et factum convertuntur). C’est un argument qui, en égalant l’homme à Dieu,
exalte sa puissance créatrice. Il correspond à ce que l’on désigne souvent
comme projet « prométhéen », projet dont les critiques dénoncent la
démesure. Claude Lorius et Laurent Carpentier rejettent ainsi les projets de
géo-ingénierie (comme ceux qui consisteraient à envoyer dans la stratosphère
des milliards de particules –à la façon d’une éruption volcanique- pour faire
retomber artificiellement la température : idée « géniale » mais
qui pourrait avoir des effets collatéraux pires que ceux que l’on cherche à
éviter) : « L’esprit ingénieux des ingénieurs n’aime rien tant que les défis qui permettent
à l’homme de mesurer sa capacité à être plus grand qu’il n’est »[42]. Chercher à éviter cette
démesure conduit à renoncer à ce modèle.
Or n’est-ce pas ce modèle de la
fabrication, voire de la création, que Canguilhem appelle à abandonner
lorsqu’il demande que l’on mette en question la conception « selon
laquelle la technique est l’application directe ou indirecte des acquisitions
théoriques de la science »[43] ? L’idée est reprise de l’article « Machine
et organisme » où elle est pleinement développée[44]. Critiquant la théorie
cartésienne de l’animal-machine, Canguilhem en inverse les rapports : la
machine n’a pu devenir le modèle du vivant que parce que, préalablement, elle
en avait incorporé le principe : celui de l’automate. Cela le conduit à
mettre en cause la perspective, qu’il dit « cartésienne », selon
laquelle l’invention technique consiste en l’application d’un savoir :
« l’antériorité logique de la connaissance de la physique sur la
construction des machines, à un moment donné, ne peut et ne doit pas faire
oublier l’antériorité chronologique et biologique absolue de la construction
des machines sur la connaissance de la physique[45]».
Canguilhem énonce là le postulat de base de
toute histoire des techniques : celles-ci ne s’appréhendent pas comme des
sciences appliquées, elles ont leur histoire propre. C’est également le
postulat de Lynn White Jr (historien des techniques) dans son article cèlèbre
sur les racines de la crise écologique : sans doute la mathématisation de
la physique a-t-elle été la base, à l’époque moderne, de la suprématie
technique européenne, mais celle-ci n’aurait pas été possible sans le
développement préalable, au Moyen-Age, de nouvelles formes techniques de
mobilisation de l’énergie (notamment le moulin à eau)[46]. Mais là où Lynn White
renvoyait cet investissement technologique de l’Occident à une transformation religieuse, Canguilhem
cherchait à dépasser l’opposition entre idéalisme et matérialisme dans la
recherche des causes du développement de la puissance technique occidentale, en
inscrivant le fait technique dans la continuité, évolutionniste, de la vie. Il
n’affirme pas seulement l’«originalité du phénomène technique par rapport au
phénomène scientifique »[47], il voit dans la
technique « un fait vital » : « toute technique comporte
essentiellement et positivement une orginalité vitale irréductible à la
rationalité »[48].
Il en vient même à parler d’une
« philosophie biologique de la technique »[49]. Pour autant, il ne nous
semble pas que cela conduise Canguilhem à complètement naturaliser la
technique. Cela tient à ce que Canguilhem ne réfléchit pas, de façon dualiste,
à partir de deux termes (la machine et l’organisme, le naturel et
l’artificiel), mais à partir de trois : le vivant, la machine (ou
l’artefact) et la culture. Cela lui permet de distinguer entre la connaissance
de l’ingénieur, qui est celle de la machine, comme « fait de
nature », de celle de l’ethnologue, qui est celle de la machine comme
« fait de culture »[50].
La distinction de l’artificiel et du naturel,
pour vigoureuse que soit sa portée normative, est, descriptivement,
difficilement tenable. C’est ce qu’avait affirmé fortement Descartes : « Toutes
les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles »[51] .
Cela laissait cependant une certaine place à la distinction entre naturel et
artificiel car il fallait prendre en compte l’intention et restreindre le champ
de l’artefact (pour des raisons de taille ou d’objet) qui, de toute façon,
continuait à relever de la réplique (de la fabrication, plutôt que de la
création, à proprement parler . Les développements technologiques plus
récents ont contribué à effacer ces différences. Avec l’intelligence
artificielle, la mécanisation s’est étendue aux opérations de l’esprit
(soigneusement laissées par Descartes hors du champ des mécaniques), tandis que
les biotechnologies s’emparaient du vivant, conduisant parfois, à propos du
clonage notamment, à parler de « création », et que les
nanotechnologies descendaient au dessous des échelles où l’on pensait pouvoir
manipuler la matière, et toute différence entre l’organique et le mécanique est
effacée. Comme toute suppression de frontière, celle-ci peut se lire dans les
deux sens : faut-il y voir une artificialisation complète (ce que l’on
tend à penser du côté des sciences sociales) ? Ou faut-il y voir une
naturalisation, l’artificiel étant devenu du « naturel de plein
droit », comme l’affirme Jean-Pierre Séris [52]?
Merleau-Ponty en
faisait la remarque dans son cours au Collège de France sur la nature, où il
étudiait les modèles cybernétiques du vivant (la tortue artificielle de Grey
Walters, l’homeostat d’Ashby, la machine à lecteurs de Pitts et
McCulloch) : « Une pensée très artificialiste (selon laquelle il faut
tout refaire par l’artifice humain) est poussée jusqu'à un tel point qu’elle
disparaît. L’artifice est nié et est posé comme une nature. C’est un retour de
la nature comme il y a un retour du refoulé chez Freud. »[53]
Cangilhem, en renvoyant la dualité de
l’artificiel et du naturel à la primauté de l’organique sur le mécanique,
permet de comprendre ce retournement. L’identité du naturel et de l’artificiel
se fait du côté de la nature : la machine doit être étudiée comme
« un fait de nature », pas comme l’application d’une idée humaine.
Mais si cela l’explique, cela n’en épuise pas le sens. La machine n’est pas seulement « un fait
de nature », elle est aussi un « fait de culture » et c’est
pourquoi, selon Canguilhem, « nous trouvons plus de lumière, quoique
encore faible, sur la construction des machines dans les travaux des
ethnographes, que dans ceux des ingénieurs »[54]. Il affirme, de la sorte,
l’irréductibilité du culturel au biologique, ce qui établit une relation à
trois termes.
Il s’agit de comprendre que nous n’avons
jamais rapport directement à la nature, que ce rapport est toujours médiatisé
par le pôle culturel, comme le dit Lévi-Strauss alors qu’il compare le
bricoleur et l’ingénieur, en essayant de les situer « sur l’axe de
l’opposition entre nature et culture ». On pourrait être tenté, remarque-t-il,
de situer l’ingénieur, ou le scientifique, hors du rapport entre nature et
culture, car « il interroge l’univers, tandis que le bricoleur s’adresse à
une collection de résidus d’ouvrages humains, c’est-à-dire à un sous-ensemble
de la culture. » Mais il n’en est rien, « le savant ne dialogue
jamais avec la nature pure, mais avec un certain état du rapport entre la
nature et la culture, définissable par la période de l’histoire dans laquelle
il vit, la civilisation qui est la sienne, les moyens matériels dont il
dispose. »[55]
Mais pour maintenir cette relation à trois
termes et éviter de s’enfermer dans le dualisme fragile du naturalisme et de
l’artificiel, ne faut-il pas changer de modèle de l’action technique ?
Celui du faire, ou de la fabrication, qui est le modèle dominant, s’expose en
effet à la critique de Canguilhem : l’action technique y est présentée
comme l’ application d’un modèle scientifique préalable, un schéma réalisé. Or,
si l’on conçoit la machine comme un fait de nature, ne faut-il pas l’étudier
comme on étudie la nature, inductivement ? La conception, qui se développe
actuellement, de la technique comme « exploration des possibles
naturels »[56],
ne conduit-elle pas à substituer, au modèle de l’ingénieur, qui est celui du
fabricant, celui de l’explorateur qui ne cherche pas à tout prix à maîtriser la
matière, mais accepte de se laisser surprendre par les hasards heureux (ce
qu’on appelle la serendipité) des rencontres [57]?
Le modèle de la fabrication, en effet,
n’est pas seulement un modèle technique, il a une dimension politique, celle de
la maîtrise. Dans « Machine et organisme », Canguilhem explique que
l’assimilation du corps à une machine conduit Descartes à substituer à l’image
politique du commandement, qui est « un type de causalité magique
–causalité par la parole, ou par le signe- (…) une image technologique de
‘commande’, un type de causalité positive par un dispositif ou par un jeu de
liaisons mécaniques. »[58] Sans doute. Mais passer du
« commandement » à la « commande », c’est rester dans le
domaine de l’imposition d’une volonté, seuls les moyens changent. Les
conceptions du faire restent toujours associées à des idées de maîtrise, qui
restent des métaphores politiques : qu’il s’agisse du « maître et
possesseur » de Descartes ou de la noble ambition d’étendre l’empire
humain sur toute la nature[59], dont parle Bacon, il
s’agit toujours de transférer, dans le rapport à la nature, une relation
politique (et qui n’a rien de démocratique). Or si la crise environnementale
enjoint, à Homo sapiens, comme
l’annonce Aldo Leopold, de passer du rôle de conquérant de la communauté-terre
à celui du membre et citoyen parmi d’autres de cette communauté »[60], cela ne doit-il pas
conduire à l’abandon des métaphores conquérantes et dominatrices de l’action
technique ?
C’est pourquoi nous proposons, pour rendre
compte de l’action technique, de ne pas s’en tenir au seul paradigme de la
fabrication. Il existe un deuxième paradigme, celui du pilotage, ou de la
manipulation des êtres vivants et des processus naturels[61]. C’est celui du
navigateur qui utilise vents et courants
pour guider son embarcation, du thérapeute qui aide l’organisme à guérir, du
pasteur qui conduit son troupeau là où l’herbe pousse, ou de l’agriculteur qui élimine les
concurrents des plantes qu’il veut faire pousser[62]. Il s’agit d’infléchir
des processus naturels dans le but de se procurer des biens ; ce n’est pas
l’art du faire, mais du faire-faire, ou du faire avec. C’est la maxime par laquelle, dans la Nouvelle Héloïse de Rousseau, Julie
explique à Saint Preux son jardin, qu’elle est en train de lui faire visiter
: « la nature a tout fait, mais sous ma direction. »[63]. Sans doute s’agit-il
toujours de diriger, mais cela n’implique pas une domination sans réciprocité.
Lorsque l’on se trouve en situation de pilotage, le rapport avec l’environnement ne s’établit
en termes d’ordre et d’exécution, mais plutôt de question et de réponse.
Platon fait souvent référence au pilote, et
l’on pourrait sans doute trouver chez lui des éléments pour comprendre le
paradigme du pilotage. Mais il est aussi simple de remonter un peu plus avant,
à la conception que les sophistes avaient de l’action technique, telle que la
présente J. P. Vernant : « Le temps de l’opération technique n’est
pas une réalité stable, unifiée, homogène, sur quoi la connaissance aurait
prise ; c’est un temps agi, le temps de l’opportunité à saisir, du kairos, ce point où un processus naturel
vient rencontrer un processus naturel qui se développe au rythme de sa durée
propre. »[64]
Alors que l’on abandonne la vision des équilibres naturels, pour une vision
dynamique, ou processuelle, des perturbations, cette conception de l’action
technique n’est-elle pas celle préférable à celle de la fabrication ?
C’est la concevoir comme une praxis
plutôt que comme une poieisis, mais
pour bien comprendre notre action dans la communauté des humains et des non
humains, ne faut-il pas renoncer à une séparation entre praxis et poiesis, qui,
tout en nous mettant hors de la nature, laisse la possibilité de transferts métaphoriques
faisant de notre rapport à la nature, un rapport de domination ?
Conclusion
Dans la question écologique, affirme Bruno
Latour dans Politiques de la nature,
la nature n’est pas un élément de la solution (comme s’il suffisait de faire
« entrer la nature en politique »), mais une donnée du problème[65]. Elle l’est si l’on
définit la nature par opposition à l’homme, dans son extériorité par rapport à
l’humain. Comme l’a montré Carolyn Merchant, les dualismes de la modernité
(entre nature et culture, nature et artifice) peuvent être considérés
comme « un facteur clé de l’expansion de la civilisation occidentale
au détriment de la nature » (et de tout ce qui y est associé, à commencer
par les femmes)[66].
Cependant, il ne suffit pas de renverser le dualisme, et de le faire servir à
l’exaltation de la nature, pour sortir des problèmes de la modernité. C’est ce
dont témoigne exemplairement la wilderness.
Non seulement, on peut montrer qu’il s’agit en fait d’un modèle culturel, qui
perpétue la domination occidentale sur la Terre, mais ceux-là même qui la
défendent s’exposent à des paradoxes, comme le reconnaît Terrasson (qui, comme
les tenants de la wilderness, définit
la nature par le sauvage) :
« Le problème c’est que la Nature n’est la Nature que quand il n’y a
personne dedans. »[67] Une nature protégée n’est
plus alors vraiment une nature, elle est une nature passée sous le contrôle de
l’homme (et de façon de plus en plus intrusive). Protéger la nature devient une
entreprise auto-destructrice.
Il peut paraître alors pertinent
d’abandonner ce dualisme, et d’affirmer que l’homme fait partie de la
nature : c’est bien pour avoir oublié cette appartenance qu’il a traité la
nature comme si elle lui était extérieure, avec les conséquences néfastes que
l’on sait. Cette position est souvent défendue par des scientifiques, par tous
ceux qui mettent des disciplines biologiques (écologie, théorie de l’évolution,
sociobiologie, biologie de la conservation…) au service de la protection de la
nature. Mais ce monisme n’est guère satisfaisant : si tout est naturel, y
compris les actions humaines, on ne peut plus faire la différence entre ce qui
est bon et ce qui est mauvais. C’est ce qu’avait déjà montré John Stuart Mill[68]. Surtout, on ne se
débarrasse pas si facilement du dualisme. Il resurgit quand on croyait l’avoir
éliminé : la position scientifique, qui ne s’inclut pas dans son objet
d’analyse, reproduit la dualité du sujet et de l’objet, la position militante
doit faire appel à la liberté et à la subjectivité des hommes, ce qui les sort
de la nature où on les avait plongés. Il apparaît alors, à l’examen, que les
deux définitions de la nature données par John Stuart Mill, l’une moniste (est naturel tout ce qui existe),
l’autre dualiste (est naturel ce qui existe indépendamment de l’homme) bien
loin d’être exclusives, sont deux faces (qui basculent très facilement l’une
dans l’autre) d’une même ontologie celle que Philippe Descola appelle
« naturalisme »[69].
On ne sort donc pas du dualisme par le
monisme. On y échappe en pluralisant les positions. C’est ce que nous avons
essayé de montrer à partir des distinctions entre nature et culture, ou nature
et artifice. Ce ne sont pas des distinctons équivalentes, elles dessinent un
triangle, et nullement un segment unique. Aussi l’effacement de la distinction
entre le naturel et l’artificiel établit-elle un segment continu entre ces deux
pôles, sans entraîner l’absorption de l’un dans l’autre (l’effacement par
artificialisation, ou par naturalisation : cette dualité des solutions
montre la persistance du dualisme, alors même qu’on en envisage la
disparition). La distinction –normative- entre naturel et artificiel n’en
disparaît pas pour autant : c’est du point de la culture (ou du social)
que l’on peut fixer la dose tolérable d’artificialisation. Ce passage de deux à
trois obéit au principe des Trois Mousquetaires (qui, comme chacun sait, sont
quatre). Il ouvre la voie à une pluralité indéfinie. On peut passer de trois à
quatre, en rajoutant, au triangle nature/artefact/culture, la pluralité des
cultures : c’est la réponse des anthropologues à la sociobiologie. Même si
Jared Diamond s’efforce, dans De l’inégalité
parmi les sociétés, de rendre compte de leur diversité à partir des seules
différences de l’environnement naturel[70], il est difficile de ne
pas faire intervenir, à un moment ou à un autre, l’unité différenciante d’une
culture.
On n’abandonne donc pas le dualisme pour le
monisme, mais on se trouve devant une pluralité indéfinie d’humains et de non
humains. Cela devrait permettre de renoncer aux schémas de domination, et
d’élaborer des schémas de coopération, qui ne reposent pas sur une séparation
rigide entre praxis et poiesis. C’est dans cette perspective
que nous proposons le modèle du pilotage.
Publié dans Cahiers
philosophiques, n° 127, 4e trimestre 2011, Naturalismes d’aujourd’hui, p. 63-80.
[1] Georges Canguilhem, « La question de
l’écologie. La technique ou la vie », conférence prononcée à Strasbourg en
1973, publiée dans la revue Dialogue,
de mars 1974 (p. 37-44), jointe en annexe du livre de François Dagognet, Considérations sur l’idée de nature,
Paris, Vrin, 2000 (p. 183-191).
[2] D. Meadows, The Limits to Growth, A Global
Challenge ; a Report for the Club of Rome Project on the Predicament of
Mankind, Universe Books, New York, 1972.
[3] En 1972, un article d’Edgar Morin sur la
question de l’écologie est également paru.
[5] Georges Canguilhem, « La question de
l’écologie », p. 187.
[6] Georges Canguilhem, « La question de
l’écologie », p. 189.
[7] Georges Canguilhem, « La question de
l’écologie », p. 190.
[8] Georges Canguilhem, « Machine et
organisme », in La connaissance de
la vie, Paris, Vrin, 1969, p. 122.
[9] Sylvan (Routley),
Richard, « Is There a Need for a New, an Environmental,
Ethic ? » from Philosophy and
Science : Morality and Culture : Technology and Man, Proceedings
of the XVth World Congress of Philosophy, Varna, Bulgaria : Sofia, 1973. L’article est repris dans de
nombreuses anthologies, par exemple Andrew Light and Holmes Rolston III, Environmental
Ethics, an Anthology, Oxford, Blackwell, 2003. Traduction en français dans Ethique de l’environnement, textes
réunis et présentés par Hicham Stephane Afeissa, Paris, Vrin, 2007.
[10] Sylvan (Routley),
Richard, « Is there a need for a New Environmental Ethic ? »
from Philosophy and Science :
Morality and Culture : Technology and Man, Proceedings of the XVth
World Congress of Philosophy, Varna, Bulgaria : Sofia, 1973. Un cas comparable est celui de
Robinson Crusoe sur le point de quitter son île. Voir Mary Midgley, Evolution as a Religion, Routledge,
London and New York (1985), 2002, p. 174-191.
[11]Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, IIe section, trad. fr. Œuvres philosophiques, t. II, Paris,
Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1985, p. 294.
[12] Holmes Rolston
III, « Duties to ecosystems », Companion
to a Sand County Almanac, J. Baird Callicott ed., The University of
Wisconsin Press, Madison, Wisconsin, 1987, p. 269.
[13]cf Paul W. Taylor,
« The Ethics of respect for nature », Environmental Ethics, 3 (1981) ; Respect for Nature: A Theory of Environmental Ethics, Princeton,
NJ, Princeton University Press, 1986; Holmes Rolston, III, « Value in
Nature and the Nature of Value », 1994 (reproduit dans Environmental Ethics, An Anthology, p.
143-153) ; Conserving Natural Value,
New York, Columbia University Press, 1994, et J. Baird Callicott, “Intrinsic
value in nature: a metaethical analysis”, in Beyond the Land Ethic, More Essays in Environmental Philosophy,
Albany, SUNY, 1999, p. 239-261.
[14] Paul W. Taylor, Respect for Nature, chapter 2 « The
attitude of respect for nature », p. 78-79.
[15] Aldo Leopold,
(1949), A Sand County Almanac, With
Essays on Conservation from Round River, Ballantine books, trad. fr. : Almanach d'un comté des sables, Aubier,
1995, p. 283.
[16] J. Baird
Callicott, In Defense of Land Ethic,
Albany, SUNY, 1989.
[17] Naess, Arne, “The
shallow and the deep, long range ecology movement : a summary”, Inquiry 16 (1973) p. 95-100. L’article
est traduit dans Ethique de
l’environnement, p. 51-60.
[18] Naess, Arne, Ecology, Community and lifestyle : Outline of an ecosophy. translated by David Rothenberg. Cambridge: Cambridge University Press, 1989 ; trad. fr., Ecologie, communauté et style de vie,
Paris, Editions MF, 2008. Catherine Larrère, « Ecologie,
transhumanisme, perfectionnisme. Arne Naess et l’écosophie », in La voix et la vertu, Variétés du perfectionnisme moral, sous la direction de Sandra Laugier, Paris,
PUF, collection « Philosophie morale », p. 217-237.
[19] Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Grasset, 1992
[20]« a
wilderness, in contrast with those areas where man and his own works dominate
the landscape, is hereby recognized as an area where the earth and its
community of life are untrammeled by man, where man himself is a visitor who
does not remain » cité par cf Roderick
Nash, Wilderness and the American Mind,
New Haven : Yale
University Press, 1967 ; 4th edition, 2001, p. 5.
[22] William Cronon, 1996, « The Trouble with Wilderness, or Getting Back to
the Wrong Nature » in William Cronon
(éd.), Uncommon Ground. Rethinking the
Human Place in Nature, London, Norton & Compagny, p. 69-90.
[23] Voir Ramachandra
Guha « Radical American Environmentalism and Wilderness
Preservation : A Third World Critique », in Callicott, J. Baird,
Nelson, Michael P., The Great New
Wilderness Debate, Athens : University of Georgia Press, 1998., 231-245.
[24] Blandin,
Patrick, De la protection de la nature au
pilotage de la biodiversité, Paris, éditions Quae, 2009.
[25] Claude Lorius, Laurent Carpentier, Voyage
dans l’anthropocène, cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, Actes
Sud, 2010, p. 57.
[26] Paul J. Crutzen, « Geology of
Mankind. The Anthropocene », Nature, n° 415, 3 janvier 2002, p. 23. Trad. fr., dans Ecologie & politique, n° 34, 2007,
p. 143-148 (avec un long commentaire et une bibliographie de Jacques
Grinevald).
[27] Paul J. Crutzen and Eugene F.
Stoermer, « The Anthropocene », IGBP
Newsletter 41 (2000), p. 17.
[28] Will Stephen, Jacques Grinevald,
Paul Crutzen and John McNeill, « The Anthropocene : conceptual and
historical perspectives », Philosophical
Transactions of the Royal Society A, 2011 369, 842-867.
[29] Jeffrey D. Sachs, Common Wealth : Economics for a Crowded
Planet, Penguin Press HC, 2008.
[30] Dipesh Chakrabarty, « The
Climate of History : Four Theses », Critical Inquiry, 35 (Winter 2009), p. 197-222. Trad. fr, « Le climat de l’histoire : quatre thèses », La revue internationale des livres et des
idées, n° 15, janvier 2010.
[31] Rapport de la commission de stratigraphie de la Royal Geological
Society de Londres cité dans Claude
Lorius, Laurent Carpentier, Voyage dans
l’anthropocène, p. 58.
[32] Claude Lorius, Laurent Carpentier, Voyage
dans l’anthropocène, p. 81.
[33] Jean-Paul Deléage, « En quoi consiste l’écologie
politique », in Écologie &
politique, 40/2010, Les écologies
politiques aujourd’hui, 1. France, p. 23.
[35] Dipesh Chakrabarty, « The
Climate of History : Four Theses », p. 201 (formulation de la
première thèse)
[36] Dipesh Chakrabarty, « The
Climate of History : Four Theses », p. 212.
[37] A la façon dont le fait Ulrich Beck, dans Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? (2004), trad. fr., Paris,
Aubier, 2006.
[38]Dipesh Chakrabarty, « The
Climate of History : Four Theses », p. 222.
[39]Dipesh Chakrabarty, « The
Climate of History : Four Theses »,
p. 222.
[40]
Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme
éclairé, Paris, éditions du Seuil, 2002
[42] Claude Lorius, Laurent Carpentier, Voyage
dans l’anthropocène, p. 138.
[44] Georges Canguilhem, « Machine et organisme » (1947), in La Connaissance de la vie, Paris, Vrin,
1969, p. 101-127.
[45] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 121.
[46] Lynn White Junior, « The
Historical Roots of Our Ecological Crisis », Science, 1967, vol. 155,
1203-1207
[47] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 102.
[48] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 122.
[49] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 123.
[50] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 120.
[51] Descartes, Les Principes de la philosophie, IVe partie, § 203 (A et T, t. IX,
p. 321)
[52] Jean-Pierre Séris, « L’artificiel et la connaissance de
l’artificiel », in Olivier
Bloch, Philosophies de la nature,
Paris, Presses de la Sorbonne, 2000, p. 513 et 514. Voir aussi, du même auteur,
« Connaissance de l’artificiel et modèles artificiels
de la connaissance » Cahiers
philosophiques, Hors Série septembre 2009, La Vie, p. 97-118.
[53] Maurice Merleau-Ponty, La
Nature. Notes. Cours du Collège de France (1956-1960), Paris, Le Seuil,
1995, p. 214
[54] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 122.
[55] Claude Lévi-Strauss, La pensée
sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 29.
[56] Voir, notamment, Claude Debru (avec la collaboration de Pascal
Nouvel), Le possible et les
biotechnologies, Paris, PUF, 2003.
[57] Claude Lorius, Laurent Carpentier, Voyage
dans l’anthropocène, p. 146.
[58] Georges Canguilhem, « Machine et organisme », p. 114.
[59] « S’il se trouve un mortel qui n’ait d’autre ambition que celle
d’étendre l’empire et la puissance du genre humain tout entier sur l’immensité
des choses, cette ambition, on conviendra qu’elle est plus pure, plus noble et
plus auguste que toutes les autres ; or l’empire de l’homme sur les choses
n’a d’autre base que les arts et les sciences, car on ne peut commander à la
nature qu’en lui obéissant ».
Francis Bacon, Novum Organum (1620), § 129.
[61] Sur cette distinction, voir Raphaël Larrère, « Agriculture :
artificialisation ou manipulation de la nature », Cosmopolitiques, n° 1 : La
nature n’est plus ce qu’elle était, Cosmopolitiques et éditions de l’Aube,
2002, pp 158-173
[62] Pour un physiocrate de la fin du XVIIIe
siècle, G. Grivel, l’agriculture peut se définir par les « secours que
l’homme lui [à la nature] donne pour repousser les espèces qui disputent le
terrain et la substance à celles qu’il veut faire prédominer ».
Guillaume Grivel, Article « Économie » in Encyclopédie méthodique. Economie politique
et diplomatique, Paris-Liège, Pancoucke, 4 vol. in-4°, 1784-1788, t. 2, p.
185.
[63] La Nouvelle Héloïse,
quatrième partie, lettre XI, dans Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, t. II, 1964, p. 472.
[64] Jean-Pierre Vernant, « Remarque sur les formes et les limites de
la pensée technique chez les Grecs» (1957) in Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, François Maspéro, 1965, in Œuvres I, Paris, Seuil, 2007, p. 525.
[67] François Terrasson, En finir
avec la nature, Monaco, éditions du Rocher, 2002, p. 80.
[68] John Stuart Mill, « On Nature » (écrit entre 1854 et 1858,
publication posthume, en 1874, dans Three
Essays on Religion), trad. fr., Paris, La Découverte, 2003.
[69] Philippe Descola, L’écologie des
autres, L’anthropologie et la question de la nature, Paris, éditions Quae,
2011.
[70] Jared Diamond, De l’inégalité
parmi les sociétés, trad. fr., Paris, Gallimard, 2006.
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